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Photo du rédacteurChristophe Verkest

Galette-saucisse mon amour

Dernière mise à jour : 18 août 2023

Où l'on parle du mur de Berlin, de kermesses dans le Morbihan, de journalisme et d'une histoire d'amour contrariée.

La Gacilly, une Traban devant les anciens locaux de l'hebdomadaire local Les Informations al


Cela faisait juste 35 ans que je n'avais pas remis les pieds à La Gacilly. J'avais mes raisons, mais c'est une autre histoire. Gros bourg du Morbihan, La Gacilly est surtout connu pour être le fief historique d'Yves Rocher et un peu maintenant pour son festival photo. C'est d'ailleurs cet événement qui nous a amenés, Carole et moi, à sillonner les rues de la Gacilly lors de notre périple breton de l'été 2013.

Et quand au détour d'une rue, je me suis retrouvé face à ce bâtiment de pierre, ça m'a fait un choc. Parce que c'est derrière ces murs que j'ai écrit le premier article de ma carrière. Un article paru dans un vrai journal, « Les informations de la Gacilly.Guer.Malestroit », hebdomadaire d'informations locales strictement indépendant et apolitique. C'était marqué dessus.

Il m'avait recruté comme stagiaire d'été. C'était en 1978. Un mois pour remplacer le journaliste en charge du secteur de la Gacilly, un mois pour remplacer celui de Malestroit. Mais en cet été 2013, plus de journal dans ces locaux. Parti. Déménagé. C'est comme ça maintenant, vous vous absentez 35 petites années et on vous chamboule toute une commune.

Par contre, il y avait là, exposée, une grande photo du mur de Berlin et à ses pieds une vieille Traban (pléonasme?). J'y ai vu comme un signe - un signe de quoi je ne sais pas, mais un signe - que ce soit à cet endroit que l'on ait choisi d'accrocher cette photo. Parce que je suis fasciné depuis longtemps par ce mur, par son histoire, par l'histoire de cette ville coupée en deux, de ces familles coupées en deux. C'est bien simple, le musée du mur à Berlin est bien le seul des musées que j'ai pu visiter où j'ai lu tous les panneaux, en entier. J'y ai passé des heures avant de traquer dans les rues les derniers vestiges de cette incroyable construction. Ça tourne à la boulimie, à l'obsession. Allongez-vous sur le divan mon garçon et parlez-moi de tout cela.

C'est vrai docteur qu'aujourd'hui, en regardant la photo de ce bâtiment, ça me remue la boîte à souvenirs. Mais ça n'a rien à voir avec Berlin. Plutôt avec une histoire de galette-saucisse. Laissez-moi vous la narrer.

Débutant dans le journalisme, je me suis vite laissé griser par l'aura que l'on prête à cette profession ou plutôt qu'on lui prêtait, parce que ces derniers temps, la cote des journalistes est sérieusement à la baisse. Notez bien que cette aura, on leur prête seulement. On leur reprend après, quand ils arrêtent de bosser. En tout cas à l'époque, ne serait-ce que pour y raconter des kermesses ou des repas d'aînés, j'étais dopé au prestige de celui qui écrit dans le journal ! Et ce prestige, ça avait quand même un peu impressionné Maryline. Maryline et ses cheveux tout bouclés, ses grands yeux tristes et ses tout aussi grands fous rires. Car oui, on peut rire aux éclats quand on a des grands yeux tristes.

"Je t'aime beaucoup, je t'aime bien, ça n'a quand même rien à voir avec je t'aime, tout court."

Elle travaillait chez Yves Rocher, un peu comme tout le monde dans le coin. Ça nous a fait un premier point commun, moi aussi je travaillais pour Yves, le journal lui appartenait. Maryline, j'en suis vite tombé amoureux. Elle, elle m'aimait bien. Mais j'ai eu beau faire des pieds et des mains, des sourires à 10 000 dollars et des déclarations enflammées, je n'ai jamais réussi à lui faire enlever ce « bien » après le « j'aime ».

Il m'a d'ailleurs toujours intrigué ce verbe aimer. C'est le seul à ma connaissance qui perd de sa force, de sa vigueur, de son pouvoir évocateur, si on lui adjoint un adverbe pourtant « qualitatif ». Je t'aime beaucoup, je t'aime bien, ça n'a quand même rien à voir avec je t'aime, tout court. Toujours est-il que Maryline, sans jamais enlever le bien, ni quoi que ce soit d'autre - What did you expect ? - m'accompagnait le dimanche dans ma tournée des manifestations locales que je devais couvrir pour les Informations. En général des kermesses. Ils semblaient adorer ça les Bretons, les kermesses. On se les faisait au pas de course, clic-clac merci Pentax, pour se rendre dans celle que l'on avait sélectionnée pour finir la journée, en retrouvant les copains. On y buvait des bières en mangeant une galette-saucisse.


Groupe de jeunes lors d'une kermesse locale dans le Morbihan en 1978
La dernière kermesse de la journée, celle où l'on retrouvait les copains.

La galette-saucisse, c'était l'incontournable de la kermesse. C'était même devenu un de nos sujets de plaisanterie. Je n'en pouvais plus d'écrire chaque semaine dans le journal l'annonce des kermesses du week-end à venir dont il fallait donner le programme, sans jamais oublier de mentionner la galette-saucisse. À tel point que j'ai lancé à Maryline qu'un jour un de mes articles débuterait par « galette-saucisse ». Elle m'a dit chiche. J'ai relevé le défi. Que ne ferait-on pas à 20 ans pour épater les filles ? Ça n'était pas très compliqué. Il suffisait de commencer le compte-rendu d'une de ces kermesses en énumérant ce que les participants avaient pu y trouver et placer la galette-saucisse en tête de gondole. Ou plutôt d'article. Honnête, Maryline s'est inclinée devant cette incroyable performance journalistique et a payé sa bière. Enjeu du pari. Mais ça ne l'a pas impressionnée au point d'enlever ce fichu « bien ». Damned, encore raté !

Bah, rétrospectivement, plus de 40 ans après maintenant, je tire quand même une certaine fierté de cette attaque de texte qui, bizarrement, ne figure dans les annales du journalisme. Je me dis que je suis sûrement le seul type au monde qui a essayé de séduire une jeune fille en écrivant « galette-saucisse ». C'est déjà ça !


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