Elle a dû me prendre pour un officiel. À cause de l'accréditation qui pendait à mon cou. Une athlète minime de Brive, qui participait aux championnats de France d'athlétisme à Montgeron en cet été 1993, et qui, un peu perdue dans le stade, m'a demandé : « Monsieur, pour le 1000 mètres, on fait comment ? ». Excellente question dans la mesure où, mon programme faisant foi, le 1000 mètres minimes filles était justement la prochaine course et que l'on se trouvait à ce moment-là près de la ligne d'arrivée, soit à l'opposé de celle de départ. Ce que je n'ai pas manqué d'expliquer à la petite Briviste qui est donc partie fissa à l'autre bout du stade.
Ce court échange m'a conduit - on est curieux ou on ne l'est pas - à suivre attentivement ce 1000 mètres minimes filles qui, professionnellement parlant, n'avait guère d'intérêt pour moi. Histoire de voir comment se débrouillait la jeune Corrézienne. Qui a couru avec la même jolie naïveté dont elle venait de faire preuve en m'interpellant quelques minutes plus tôt. Ce qui, avec d'autres mots, veut dire qu'elle a fait un peu n'importe quoi en plaçant une mine après 500 mètres pour prendre gaillardement (Elle n'était pas de Brive pour rien) la tête. Résultat : elle s'est fait ramasser dans la dernière ligne droite par deux concurrentes, mais a, heureusement, sauvé sa place sur le podium. Sa copine lui a sauté dans les bras et peu de temps après, en descendant de la boîte, elle était toute radieuse avec sa breloque autour du cou.
Des petites histoires touchantes, le petit bout de la lorgnette, le sport dans ce qu'il a de plus authentique
Vous n'allez peut-être pas me croire – et pour le coup vous aurez tort – mais durant mes quinze années de journalisme sportif, ce sont les moments comme ceux-là que j'ai préféré vivre. Pas obligatoirement les grands matches, les soirées de victoire ou de titre, la rencontre avec de grands champions...Non, plutôt ces petites histoires touchantes, le petit bout de la lorgnette, le sport dans ce qu'il a de plus authentique, de plus rafraîchissant. Parce que le quotidien d'un journaliste sportif se heurte plus souvent à des histoires de fric, de tricherie, de dopage, d'invectives et d'ego surdimensionné. Et encore, ai-je eu la chance de vivre cela au moment où les réseaux sociaux n'existaient pas et ne jouaient pas leur rôle d'amplificateurs de médisances, fakenews et clashs en tout genre.
Attention, je ne vais pour faire le coup du gars qui pleure le bon temps du rock and roll et de la machine à écrire tout en se servant des réseaux sociaux pour faire son auto-promo. Sans le Net et ses dérivés, les écrits diffusés sur ce blog seraient restés dans un cahier à spirales et à petits carreaux (parce que comme tout bon gaucher, je ne sais pas écrire droit s'il n'y a pas de lignes).
Un carnet intime, en fait, c'est ça. Bon, ça n'aurait pas changé la face du monde non plus, restons modeste.
Ce qui est rigolo avec les réseaux sociaux d'ailleurs, c'est que le journal intime maintenant peut être lu par tout le monde. Avec comme inconvénient que dans « tout le monde », il y a aussi n'importe qui.
Mais revenons à nos moutons ou plutôt au journaliste sportif. Qui a aussi été ému par l'histoire des filles de Sirvintos, en 1993 également. J'en avais fait un « Podium », ces billets d'humeur de la rédaction sportive du Courrier picard, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler dans ce blog. Et celui-là, sans avoir à le relire dans mon disque dur en boîte en carton, je m'en souviens très bien.
Un bus du plus pur style URSS des années 50.
Sirvintos est une petite ville de Lituanie, pays qui, en ce début des années 1990, sortait tout juste du bloc soviétique qui venait d' exploser en plein vol. Et la situation n'y était pas florissante.
Les filles de Sirvintos sont venues à Amiens, au printemps 1993, pour disputer une coupe d'Europe des clubs de hockey sur gazon. Elles ont fait le trajet en bus. Mais un bus du plus pur style URSS des années 50. Pas de couchettes, pas de clim', pas de vidéo pour tuer le temps, pas de sièges rembourrés. À la dure, 44 heures de voyage. Après deux jours de compétition, les organisateurs amiénois se sont rendu compte que manquant de tout et particulièrement d'argent, les filles de l'équipe lituanienne mangeaient chaque soir dans leurs chambres du pain, quelques légumes crus et des tranches de lard, faute de pouvoir se payer le restaurant. Du coup, pour le reste de la compétition, ils les ont invitées chaque soir à un grand barbecue au bord du terrain. Elles étaient ravies. Si j'ai raconté cette histoire à l'époque, c'était pour faire le parallèle avec les jeunes sportifs que je côtoyais régulièrement et qui se plaignaient plus souvent qu'à leur tour d'un vestiaire trop petit, de douches pas assez chaudes, d'une nourriture pas assez abondante au restaurant, etc.
Pour expliquer que les filles de Sirvintos nous avaient apportés un bon vent rafraîchissant pour nous ramener à l'essentiel : le plaisir de se rencontrer, de s'entraider, de se découvrir, de pratiquer un sport sain. Et, accessoirement, nous rappeler aussi que nous n'étions pas les plus à plaindre.
Un moment de grâce et de douceur dans ce monde de brutes
Mais en matière de souvenirs liés au sport, j'ai une tendresse particulière pour celui que m'a offert un garçon de huit ans. Nous étions fin 1998, il était assis sur le siège arrière de ma voiture et avait autour du cou une breloque qu'il venait de gagner dans un gymnase lors d'une réunion d'athlétisme. Une petite compétition départementale sans prétention. Mais ça, il s'en foutait, il couvait des yeux sa récompense et m'a lâché, émerveillé : « Une médaille, c'était mon rêve ». Texto.
Là encore, le journaliste sportif que j'étais a vécu cela comme un moment de grâce et de douceur dans ce monde de brutes. Un peu usé par des polémiques sportives et extra-sportives, un peu blasé peut-être aussi, il a reçu un grand appel d'air et s'est rappelé pourquoi il aimait le sport.
Et puis surtout, son cœur de papa qui venait d'accompagner son fils dans ce gymnase, a battu très fort.
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