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Photo du rédacteurChristophe Verkest

La revanche du plouc

Dernière mise à jour : 24 août 2023

Départ d’un nageur en compétition lors d’un meeting à Amiens (Photo Christophe Verkest)

Je n'ai jamais su. Est-ce que c'est moi qui faisais un complexe d'infériorité ou y en avait-il vraiment parmi eux qui nous prenaient de haut ? Nous, les journalistes sportifs de la presse régionale. Eux, les Parisiens qui travaillaient pour des quotidiens nationaux et qui lors de compétitions, nationales également, voire internationales, étaient amenés à côtoyer les Provinciaux. Si c'était un complexe d'infériorité, c'était idiot. En termes de nombre de lecteurs, un journaliste d'un grand quotidien régional n'a souvent pas grand chose à envier à son confrère parisien. À une époque où internet n'existait pas, le seul juge de paix, c'était le tirage papier et le champion toutes catégories parmi les quotidiens était, de loin, le journal « Ouest France », un régional donc.

Et puis sur le terrain, on ne faisait pas exactement le même boulot. J'ai ainsi le souvenir d'un championnat de France de natation à Vittel – un endroit idéal pour un sport aquatique – en 1988. C'était juste avant les Jeux olympiques de Séoul, ce qui avait motivé la venue inhabituelle de journalistes de quotidiens nationaux. Celui du « Monde » avait pour mission de rédiger un article au bout des quatre jours de compétition, un article qui n'allait pas occuper plus d'un quart de page de ce journal.

Evidemment, le produit fini n'était pas le même

Dans le même temps, ses confrères régionaux – dont je faisais partie – produisaient deux, voire trois articles par jour pour une page entière : suivi des nageurs régionaux, un petit magazine, une synthèse nationale, etc. Ce qui, soit dit en passant, nous amenait à assister aux séries qui se déroulaient le matin, quand les « grands » nationaux pouvaient se permettre - et généralement ils se le permettaient - de n'arriver que l'après-midi pour les finales.

Alors, évidemment, le produit fini n'était pas le même. Autant vous dire que celui du journaliste du « Monde », fort bien écrit, était aussi mûrement réfléchi, ciblé, argumenté. Rien à dire, de la belle ouvrage, même si, dans notre catégorie, figuraient aussi de jolies « plumes ». Suffisamment en tout cas pour ne pas être pris pour des ploucs.

Comme l'année suivante, en 1989 donc, à Forbach, cité de Moselle qui ne fait pas obligatoirement rêver, mais où les gens compensent ce manque d'attractivité par une qualité d'accueil exceptionnelle et une grande gentillesse. En tribune de presse à la piscine, je me suis retrouvé à côté de l'envoyé spécial de « L'Équipe », la bible du sportif français. Lors des championnats de sport individuel, natation ou athlétisme notamment, les journalistes de presse régionale ont l'habitude de se munir d'un stabylo et de surligner, sur les listes de départ, les noms des sportifs de leur zone de diffusion, « leurs » athlètes, pour être bien sûr de ne pas louper leurs courses. Et pour savoir quand ils pouvaient, sans risque, quitter la tribune pour aller faire pipi ou boire un café.

C'est ainsi que ce jour-là, je suis amené à surligner le nom de Stéphane Vossart, un jeune brasseur, licencié à l'AAE Péronne, sous-préfecture du département de la Somme. Mon voisin de « L'Équipe » jette un œil sur mes feuilles et me lance sur un ton un poil condescendant – non en fait, carrément condescendant - « Ah, ah, l'Amicale des anciens élèves de Péronne va encore frapper.. ».

Vlan, prends ça dans les dents, excuse-moi je vais devoir y aller, mon tracteur est garé en double file.

De quoi attirer l'attention de l'envoyé spécial de « L'Équipe »

Ce que cet éminent journaliste parisien ignorait, c'est que le jeune brasseur en question avait un très gros potentiel et un excellent entraîneur, Bruno Bocquillon, disparu hélas trop vite. Bref, que tout était réuni pour que le talent de ce garçon explose un jour aux yeux de la natation française. Il suffisait d'attendre un peu.

Il n'a pas fallu attendre bien longtemps. En 1991, changement de décor pour les championnats de France d'été à Millau, dans l'Aveyron. Un an avant de crever vraiment l'écran à Dunkerque où il fera valser le record de France du 50 et du 100 m brasse et décrochera son billet pour les Jeux de Barcelone, Stéphane Vossart remporte son premier titre national sur le 50 m. Ah, ah, de quoi attirer l'attention de l'envoyé spécial de « L'Équipe », le même que celui de Forbach. Qui, ô miracle, vient me demander un service : « Dis, tu pourrais pas me présenter l'entraîneur de Stéphane Vossart ? » Moment délicieux, n'est-il-pas ?

Et là, j'avoue, j'ai cédé à la facilité : « L'entraîneur de l'Amicale des anciens élèves de Péronne ? »

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