Mon appareil photo est nul. Ce n'est pas qu'il fasse de mauvaises photos - pour peu que je réussisse à l'utiliser correctement - mais impossible de passer le moindre appel téléphonique avec. Alors que n'importe quel Smartphone est capable de faire des photos. Et parfois même des bonnes, le con. D'ailleurs le meilleur argument de vente pour un Smartphone, si j'en crois les pubs, c'est la qualité des photos que l'on peut prendre avec. Alors que l'on se fout complètement de savoir si l'on réussira à avoir des conversations téléphoniques de qualité. Techniquement parlant, s'entend (c'est le cas de le dire). Pour des gens comme moi qui ont connu les téléphones avec fil et cadran circulaire, c'est déstabilisant. Vous savez, ces cadrans qui vous faisaient maudire les numéros qui comportaient plein de zéro et de neuf parce qu'il fallait trois plombes pour les composer.
Pour regretter cette époque, il faut quand même être un peu maso.
Quant aux photos qui désormais inondent notre quotidien, genre « regardez, on est au bord de la piscine », « On a fait un beau gâteau », « Là c'est moi avec ma copine », « Là, c'est encore moi qui sort de chez le coiffeur » « Ah ce qu'on est bien en vacances au soleil », etc., etc., elles nous feraient presque regretter l'époque de l'argentique. Surtout si vous faisiez partie du cercle de ceux qui savaient développer leurs films et tirer leurs photos. La classe...
À dire vrai, pour regretter cette époque, il faut quand même être un peu maso. Parce que c'était un sacré parcours semé d'embûches : le bain pour le révélateur, le bain d'arrêt, le fixateur. Tout cela devait être à la bonne température et il fallait évidemment opérer dans le noir.
Dans le bureau du journal où j'ai effectué mon premier remplacement, pour le noir, on avait trouvé la cave à charbon. Mais comme l'hiver, elle était trop froide, il fallait remonter les bains dans le bureau, près du radiateur, pour les porter à la bonne température, avant de les redescendre à la cave... Tout ceci avait un côté angoissant et on ne pouvait vraiment respirer qu'une fois sortis les films du fixateur et que l'on constatait qu'il y avait bien des clichés exploitables dessus.
À la fin de mes études de journalisme, j'ai effectué un stage au service photo de la Nouvelle République du Centre Ouest (la NR pour aller plus vite) à Tours. J'y ai rencontré Pierre Fitou, un excellent photographe qui m'a beaucoup appris et notamment le travail en laboratoire. C'était vraiment un tout bon, rendu célèbre par ses clichés de l'effondrement du Pont Wilson à Tours en 1978. Pour la petite histoire, ça l'énervait d'ailleurs un peu d'être devenu « L'homme du pont », parce qu'à ses yeux, ces clichés qui devaient beaucoup à la chance - celle d'être là au bon moment - occultaient le reste de son travail. Et bien, tout Pierre Fitou qu'il était, lorsqu'il couvrait un match de foot le samedi soir – à une époque où la NR ne paraissait pas le dimanche, comme quasiment tous les journaux régionaux – il venait développer ses films au journal avant de rentrer chez lui. Parce que sinon, il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Quand je vous dis que c'était stressant.
Durant ce même stage, j'ai d'ailleurs touché du doigt la grande solitude du photographe qui a merdé lors de la phase du développement. On m'avait envoyé un soir à Châteauroux, un bon 200 bornes aller-retour, pour une opération de délocalisation du tirage du loto national. Un événement qui, d'un point de vue des journalistes de ce bureau, nécessitait la présence d'un photographe. Ce qui ne devait pas être l'avis du service photo, puisque c'est le stagiaire de service qui s'y est collé.
Avec le numérique, je me suis dit qu'on allait y gagner en sérénité.
Je rentre du reportage, je m'enferme dans le labo et je développe mon film. Et là, catastrophe : quand je le sors du fixateur, il n'y avait rien dessus. Bon, si je n'avais pas confondu le bain d'arrêt avec le révélateur, ça aurait sûrement été beaucoup mieux. Mais j'étais bien emmerdé quand même. Heureusement, avant de quitter la salle à Châteauroux, j'avais glissé une nouvelle pellicule dans mon appareil et j'avais fait trois ou quatre clic-clac à tout hasard. Et c'est avec ces quelques clichés, pas terribles, que j'ai (un peu) sauvé la face. À partir de ce jour là, j'ai toujours fait en sorte que mes reportages figurent sur deux films différents que je ne développais jamais ensemble. Ça s'appelle apprendre de ses erreurs. Vous comprendrez donc facilement pourquoi, lorsque bien des années plus tard, on m'a confié un appareil numérique, je me suis dit qu'on allait y gagner en sérénité. D'ailleurs, lors du premier reportage que j'ai effectué avec - le portrait du nouveau directeur du Conservatoire de musique - j'ai vanté auprès de mon interlocuteur les bienfaits de la technologie qui nous permettait de voir immédiatement la photo que l'on venait de prendre et qui nous mettait à l'abri des tracas et angoisses de l'argentique. C'est fou, comme parfois on parle un peu vite. Je rentre au journal, je discute avec mes collègues tout en manipulant l'appareil. Et là, allez savoir ce que je bricole, j'efface toutes mes photos que je n'avais pas encore chargées sur l'ordinateur.
« Allô, Monsieur le directeur du Conservatoire, on peut se donner un nouveau rendez-vous ? J'ai eu un petit problème avec l'appareil photo »....
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