Un pull gris à col roulé. Mais léger, c'était l'été. Le pull que Véronique m'avait laissé à la fin des vacances. Sûrement pour que j'emporte avec moi un peu d'elle, de son odeur.
Parce que, autant mon premier baiser, dont je vous ai conté l'histoire dans ce blog, était tout sauf romanesque, autant ma première grande histoire d'amour adolescente a été conforme à tous les clichés sur le sujet. Des heures collés l'un à l'autre, d'interminables échanges de baisers, des regards langoureux d'amoureux transis en écoutant le tube de l'été « Angie » des Stones qui se prêtait bien à nos activités. Et évidemment la saison et le lieu : un été à la plage.
Bon, certes, ce n'était pas Saint-Tropez ou Cannes mais Le Crotoy, à une époque où les gens ne savaient pas encore que c'était l'une des plus belles baies du monde. Ceci dit sans chauvinisme aucun évidemment. À l'époque avec mes sœurs et frère, on y passait un mois de vacances en compagnie de notre maman, en attendant les congés de papa qui, lui, n'était pas enseignant.
"Un truc rigolo, un camping autogéré par les campeurs, tous enseignants"
On plantait la tente familiale au sein du camping GCU. Comme Groupement des campeurs universitaires. Un truc rigolo, un camping autogéré par les campeurs, tous enseignants, qui élisaient chaque vendredi, pour huit jours, un responsable et un trésorier et désignaient les « hommes – ou femmes – du jour » chargés de l'accueil des arrivants et du nettoyage des sanitaires. Ils débattaient aussi de la vie du camping et de ses petits problèmes. Ils aimaient ça, les profs et les instits', ces AG du vendredi, ça devait leur rappeler les réunions au boulot. Sauf qu'il y avait l'apéro et que l'on pouvait venir en maillot de bain. Ou en K-Way et bottes, je vous rappelle que nous étions au Crotoy.
Je me moque mais je garde des superbes souvenirs de ces vacances. Même celles bien avant Véronique. Les jeux organisés par le « responsable des jeunes », désigné lui aussi le vendredi. Et surtout nos « tours de France » : un circuit dans le sable, des billes et des petits cyclistes en plastique. Jolis les cyclistes. Aux couleurs des équipes de l'époque : Bic, Molteni, Peugeot, etc. On y jouait pendant des heures. C'est bien simple, si j'en retrouvais et que j'étais sûr que mon dos et mes genoux ne me fassent pas trop souffrir, j'y rejouerais bien. Je joue bien aux Barbies avec ma petite-fille, y'a pas de raison.
En grandissant toutefois, j'ai lâché les billes pour m'intéresser à d'autres jeux. Et Véronique fut donc ma première partenaire pour ces nouvelles activités.
Sa maman avait loué une villa pas loin du camping avec ses trois enfants, Véronique étant l'aînée. Le papa, lui, ne devait pas avoir de vacances non plus, en tout cas il n'était pas là. Institutrice aussi la maman, mais visiblement pas convaincue par les joies du camping GCU. Tendance baba, genre « maman-copine », ce qui n'était pas encore à la mode à l'époque.
"La malédiction des amours d'été"
Ce que nous ne savions pas encore avec Véronique – ou que l'on ne voulait pas savoir – c'est que planait sur nous la malédiction des amours d'été. Condamnées à ne pas survivre à l'arrivée de l'automne. Pensez donc, elle habitait dans l'est du département et moi à l'ouest. Insurmontable. Fin août, mon papa eut la gentillesse de m'amener passer un week-end chez elle mais c'était déjà le chant du cygne. On a pourtant mis les petits plats dans les grands en agrémentant le cassoulet Willliam Saurin avec quelques pommes de terre à l'eau (si, si). Tout cela pour s'offrir l'illusion que l'on tutoyait la grande cuisine mais rien n'y fit, le compte à rebours fatal avait commencé.
Les cours au lycée, l'éloignement... Je ne sais plus exactement comment tout cela a fini mais ça s'est assez vite fini. En fait, ce n'est pas l'automne qui a eu raison de notre histoire d'amour mais l'hiver, si j'en crois la dernière lettre de Véronique qui date de janvier de l'année suivante et qui se termine par cette phrase sans appel : « Tant pis, je t'aurais dit que je t'aime toujours ». Aussi improbable que cela puisse paraître, de lire ça plus de quarante ans après, j'en ai eu la larme à l'oeil. J'ai toujours adoré les belles histoires romantiques, sans jamais oser l'avouer.
"Le téléphone, il fallait être là quand ça sonnait. On prenait rendez-vous... par lettre"
Mais d'où sortent donc ces incroyables archives, allez-vous me demander ? Et bien, même si vous ne le demandez pas, de mon disque dur externe made in seventies. Une boîte en carton en fait, dans laquelle je garde précieusement toute ma correspondance des années 72-73 au début des années 80. Ce qui me vaut, lors des rares fois où je m'y replonge, de me remémorer ces moments exquis où l'on recevait la lettre tant attendue. Une vraie lettre sur du papier, seul moyen de communiquer. Avec le téléphone. Mais fixe, le téléphone, il fallait être là quand ça sonnait. On prenait rendez-vous... par lettre. Des lettres avec des vraies phrases et si peu de fautes d'orthographe ! On les lisait, relisait. Leur rareté, si l'on compare avec la vitesse avec laquelle on communique aujourd'hui, en faisait toute la valeur. Créait l'événement.
Qui reliera quarante ans plus tard, des mails ou des SMS plein de smileys ? Cette fois, c'est moi qui vous le demande. Et vous, vous vous interrogez peut-être – sûrement – sur l'intérêt de relire de la prose d'adolescents quarante ans plus tard. Je serais bien tenté de vous répondre par de doctes explications sur le besoin de se rappeler d'où l'on vient, de la nécessité de se souvenir que l'on a été jeune pour ne pas raisonner trop vite comme un vieux con, de puiser dans ses archives pour pouvoir raconter sa vie quand on est en retraite, mais ça ne serait que des conneries. La vérité, c'est que je suis persuadé que ça ne sert à rien. Et c'est bien pour ça que ça me plaît.
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