top of page
Photo du rédacteurChristophe Verkest

Des trous dans le mythe

Dernière mise à jour : 24 août 2023

Vous souvenez-vous de votre premier baiser d'amoureux ? Inoubliable, forcément. Romantique ? C'est moins sûr.



Pochette d’un disque, 45 tours, des Who, « I’m free » datant des années 70.


 

« I'm free ». C'est de ce titre que vient ma passion pour les Who. Ce morceau qui invariablement faisait partie de ma sélection lorsque l'on glissait une pièce dans le jukebox. Des petits jukebox, accrochés au mur juste au dessus de la table du bistrot. De chaque côté de cette table, des banquettes pour former des sortes d'alcôves. Notre refuge de lycéens en cette année 1972.

Et ces petits jukebox représentaient pour nous le top de la technologie, de la modernité. La musique accompagnait nos chocolats chauds ou nos Coca, selon la saison. La bière arrivera plus tard. Étions-nous plus heureux, plus insouciants que les adolescents d'aujourd'hui ? Ni l'un, ni l'autre mon colonel. À quinze ans, on se fout de son avenir. On se fout de savoir si la conjoncture est incertaine et les perspectives économiques sombres. Ces préoccupations on les laisse aux parents. Maintenant je le sais, je suis père, et même grand-père. À quinze ans, ce qui intéresse les lycéens que nous sommes, c'est surtout d'attirer l'attention de la petite brune (ou blonde ou rousse) de la table d'à côté. Poussées d'hormones. Désir de se prouver qu'on peut le faire. Et surtout de le prouver aux copains.

Si l'on met de côté le changement de langage et l'évolution des moyens de communication, ces choses là ont-elles changé ? On ne veut plus « marcher avec » (qui a devancé « sortir avec ») Isabelle ou Nathalie, mais « pécho » Léa ou Emma. On ne glisse plus un feuille arrachée de notre cahier de textes dans le cartable de Christine, on envoie un SMS à Chloé. Non fini ça aussi, les SMS, déjà dépassés. On snap, on Whatsapp avant la prochaine qui est sûrement déjà arrivée et dont j'ignore tout. Mais fondamentalement, le ressort est le même. Parce qu'à un moment, il faut bien concrétiser, aller chercher cette main posée juste à côté de nous. Ce vecteur de sensations fortes. Le signe. Si elle retire sa main, c'est mort. Si elle la garde dans la mienne, c'est gagné. On a la trouille, bien sûr, du haut de nos quinze ans et nos allures bravaches. En est-il différemment aujourd'hui au moment fatidique ? Je n'en suis pas persuadé. Après, cette première histoire, cette première victoire, on aura le temps de se la raconter, de la magnifier. Refaire l'histoire de ce premier baiser. Sur la bouche et avec la langue ! Un événement ! Forcément magique, romantique...Hummm, pas sûr.

"Tout était donc réuni pour vivre un grand moment de poésie."

C'est en écoutant « I'm free » que je me suis souvenu de mon premier baiser. C'était au cinéma, un après-midi avec une bande de copains et copines. Ne me demandez pas le nom du film, parti depuis longtemps dans les oubliettes de ma mémoire. Par contre, je me rappelle que ma voisine s'appelait Clotilde. Blonde, cheveux longs et raides, des lunettes. Je ne l'aimais pas beaucoup et je ne la trouvais pas franchement jolie. Et elle me le rendait sûrement bien. Mais elle avait envie de rendre jaloux un de mes copains qui l'intéressait bien plus que moi. De mon côté, je voulais montrer à mes potes que je pouvais, moi aussi , « rouler une pelle » à une fille. Et surtout de découvrir enfin de quoi il s'agissait. Tout était donc réuni pour vivre un grand moment de poésie.

Et c'est comme cela que l'on s'est retrouvé lèvres contre lèvres, puis langue contre langue. À vrai dire cette activité labiale constituait la motivation principale de nos après-midi ciné. La culture cinématographique, comme la bière, ça viendra plus tard. Cette première expérience, bercée d'un romantisme qui n'aura échappé à personne, me laisse pourtant un souvenir ému. Certes, elle s'est terminée en même temps que le film et n'a pas résisté à l'épreuve du temps, c'est-à-dire à la sortie du cinéma. Mais j'ai aimé la sensation, la douceur des lèvres, le contact de la peau. Comme dans le jukebox, je venais, sans m'en apercevoir, de remettre une pièce dans la machine. De me donner l'envie de recommencer, de réécouter cette musique sensuelle. Pour le grand frisson du baiser, celui avec les sentiments qui vont avec, il faudra juste se montrer un peu patient. Et écouter une autre musique. Pour le moment, je suis libre...

87 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page