À chaque fois que je prépare un déménagement, c'est la même chose. Bon, quel que soit le sujet que nous allons aborder, vous allez me dire que ça ne doit pas arriver souvent parce qu'on ne déménage pas tous les jours. Tous les jours, non, mais tous les deux ou trois ans, c'est possible, j'en suis la preuve vivante.
Donc, à chaque fois que je prépare un déménagement, je remplis des cartons. J'y mets notamment des photos et des papiers : vieilles lettres, articles de presse, etc. Et évidemment, il y a toujours un moment où je m'arrête sur une lettre que je ne peux pas m'empêcher de relire. Il y a mon ancienne correspondance personnelle, dont j'ai déjà parlé dans ce blog, mais aussi des lettres que des lecteurs m'ont envoyées durant ma carrière journalistique. Des rescapées de mon grand nettoyage de mai 2018, ces lettres.
À cette date, le Courrier Picard a déménagé (lui aussi...), quittant ses locaux de toujours pour un immeuble sans âme où l'on a plus l'impression de travailler dans un centre d'appels que dans une rédaction. Bizarrement - ou pas - quitter ce bâtiment chargé de toute l'histoire de ce journal, et accessoirement de 37 ans de ma vie professionnelle, m'a plus remué que mon départ en retraite deux ans plus tard.
J'ai quasiment tout mis à la benne
Et c'est justement parce que ce départ arrivait à grands pas qu'au lieu de mettre, comme mes collègues, toutes mes archives papier dans des cartons pour les apporter dans les nouveaux locaux, j'ai quasiment tout mis à la benne. Parfois, je le regrette un peu. Je m'étais dit à ce moment-là que faire ça maintenant ou dans deux ans, c'était du pareil ou même. Et que tout ce que je ne gardais pas, ça ferait toujours ça de moins que mes proches auraient à jeter le jour où je passerai l'arme à gauche.
J'ai juste sauvé quelques articles qui me tenaient particulièrement à cœur et, donc, ces quelques lettres. Elles datent un peu. D'avant l'arrivée des réseaux sociaux où, dorénavant, n'importe quel imbécile anonyme peut vous vilipender (J'aime bien « vilipender », les imbéciles anonymes ne l'utilisent pas) pour un oui pour un non à propos d'un article qu'il n'a même pas lu.
Avant cela, les lecteurs (j'ai bien dit des lecteurs, des gens qui nous lisaient) prenaient la plume soit pour manifester leur désaccord, soit pour nous féliciter. Si, si ça arrivait.
J'ai gardé les deux, les lettres des gens qui me remerciaient ou me félicitaient et celles des gens qui m'engueulaient. Pas par masochisme, mais parce que ça fait toujours du bien de se rappeler que l'on ne plaît pas à tout le monde. Plaire à tout le monde, m'a-t-on dit un jour, c'est plaire à n'importe qui.
"Je l'aime, je le vénère tel un dieu"
Le meilleur moyen de se faire pourrir, ça restait les critiques de concerts. Pour peu que critique, vous le soyez un peu, ça ne pardonnait pas. Surtout lorsqu'il s'agissait de Johnny. Je ne sais plus ce que j'avais écrit sur le spectacle qu'il a donné à Amiens en 1985, mais ça n'a pas du tout plu à une lectrice qui m'a envoyé une longue lettre, recto-verso, en écriture serrée. Je n'avais de toute façon aucune chance : « Je l'aime, je le vénère tel un dieu », qu'elle écrivait la dame. J'avais dû évoquer le grand merchandising (on ne disait pas comme ça à l'époque) qui tournait autour de l'événement parce que la lectrice irritée précisait que « mon beau-frère qui est marié et qui a deux enfants a dépensé à lui tout seul 368 francs (Et oui, c'était une autre époque) : sa place, un tee-shirt, une écharpe, le livre et 30 francs de boisson, et il est content ».
J'en ai d'autres comme celle-là, pour d'autres spectacles : « Je suis tellement écœurée par l'article que vous avez fait paraître sur Capdevielle qu'il faut que je le dise ». Elle a raison la dame, ça va toujours mieux en le disant.
Durant ma carrière « sportive » j'ai reçu aussi quelques jolies missives. À propos d'un match de hockey, un lecteur m'a écrit : « J 'ai lu et relu votre article et je me demandais si c'était vraiment un journaliste qui avait écrit toutes ces idioties ! » Et, hop, prends-toi ça dans les dents.
Vous noterez quand même que le monsieur avait une certaine estime pour notre métier puisque ses propos sous entendaient que si l'article avait été l'œuvre d'un journaliste, il aurait été d'une autre teneur que les bêtises que j'avais pondues. Alors qu'aujourd'hui, on a plutôt tendance à dire que les journalistes n'écrivent que des conneries. On se console comme on peut.
En fait, le fond du problème se trouvait au détour d'une de ses phrases : « Lorsque les Gothiques gagnent, vous pourriez leur porter un peu plus d'estime dans vos articles ».
Voilà, c'est dit : bon nombre de personnes pensent que le journaliste d'un média régional doit être le supporter des équipes qu'il suit. Alors qu'il se doit juste d'être journaliste. Toutefois, pour avoir vu des confrères en tribune de presse se lever, bras en l'air, pour célébrer un but de « leur » équipe ou les avoir entendu vilipender dans le poste (oui, je sais, j'ai déjà employé ce verbe, mais quand on peut se faire plaisir...) l'arbitre qui n'avait pas sifflé pour la bonne équipe, je peux comprendre l'amalgame.
"J'achète tous les jours le Courrier Picard pour le hockey sur glace"
Mais ne nous faisons pas trop de mal, j'ai aussi reçu de bien jolies lettres. Comme celle d'Hélène, jeune fille de 15 ans en 1989 et supportrice, là encore, de l'équipe de hockey sur glace d'Amiens dont les joueurs n'étaient pas encore « Gothiques » mais « Ecureuils ». ». « Grâce au Courrier Picard, et surtout à toi, je vie presque en direct les matches à l'extérieur et les impressions des joueurs. J'achète tous les jours le Courrier Picard pour le hockey sur glace surtout. » Outre que cela flatte mon ego, vous noterez, peut-être avec un brin de nostalgie, qu'à la fin des années 80 des adolescents lisaient des articles sur papier ! Allant même jusqu'à acheter le journal pour ça.
Mais si je ne devais garder qu'une seule lettre, ce serait celle d'un lecteur qui aurait aimé que je n'écrive pas l'article pour lequel, d'une certain façon, il me félicitait. Une affaire de bisbilles dans une commune à la périphérie d'Amiens entre la mairie et le club de foot, dont le président avait été battu lors des dernières élections municipales. Un grand classique.
C'est le maire qui m'a écrit après la parution. « J'aurais préféré ne pas voir paraître votre article, mais il faut bien que vous fassiez votre travail. Il correspond à une certaine réalité que vous avez présentée sans excès et sans porter de jugement. (…) J'ai apprécié votre honnêteté dans votre travail car vous n'avez pas manqué d'avoir un contact avec les deux opposants et d'effectuer un minimum de vérifications ».
Cette lettre m'a d'abord touché pour l'honnêteté intellectuelle dont faisait preuve son auteur. Aujourd'hui, quand je la relis, je me dis que finalement il me savait simplement gré d'avoir effectué correctement le travail pour lequel j'étais payé. Ce qui est la moindre des choses. Mais c'est déjà bien qu'il s'en soit aperçu. Il m'en faut peu pour être heureux.
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