top of page
Photo du rédacteurChristophe Verkest

Pute à clics (Titre incitatif)

Dernière mise à jour : 25 août 2023


Journaliste sportive écrivant en direct un article sur le hockey sur glace dans la patinoire d'Amiens dans les années 80.
Trouver le titre qui incitera le lecteur à s'arrêter sur votre article. Tout un art...

Pas besoin de Google. Ni même de consulter la moindre archive pour me souvenir du nom de la skieuse qui a gagné la descente des jeux olympiques d'Albertville en 1992. Étonnant, non ?

J'en conviens, ce n'est pas cette « performance » qui va changer la face du monde, mais ce qui est particulièrement surprenant – en ce qui me concerne – c'est que normalement, pour ce qui est des noms, j'ai une mémoire de poisson. Moins avec les surnoms, je ne sais pas pourquoi. Ce qui peut être gênant d'ailleurs lorsque vous voulez présenter à votre amoureuse un ami de jeunesse rencontré dans la rue et que le seul nom qui vous revient, c'est « Frisé », « Ch'toér »(un taureau en picard, pour les étrangers) ou « Ch'Big » . Et oui, il y a beaucoup de « ch' » en picard comme l'avait remarqué un des mes copains à l'école de journalisme à Tours qui m'a un jour demandé : « Mais comme vous mettez des « che » partout, comment vous dites un chat? Un chcha...un chacha..? ». Ben non, on n'est pas bête – c'est le cas de le dire – on dit ch'cot, c'est tout.

Mais donc, surnoms mis à part, j'ai vraiment un problème avec les noms et c'est également vrai pour les noms de lieux. Mais seulement les noms parce que les lieux, eux, je m'en souviens très bien. Je peux faire une seule fois le trajet Amiens-Pontarlier, si dix ans après je reprends la même route, je suis capable de vous indiquer les endroits exacts où je me suis arrêté faire pipi. Dix ans plus tôt ! Fabuleux non ?

Du coup avec Carole, mon amoureuse, on est plutôt complémentaires. Pas seulement sur cela heureusement. Elle, elle se rappelle très facilement les noms des lieux, ceux où l'on est passé et ceux où l'on doit aller. Et moi, je me souviens comment on peut y aller. Par où il faut passer.

Par contre, c'est pas pour dire du mal mais question géographie, Carole, c'est moins ça. Elle a un sens de l'orientation de..., de..., de fille. C'est le seul mot que j'ai trouvé. Je sais, ce n'est pas politiquement correct de faire des généralités comme ça et il y a des filles qui ont sûrement un sens de l'orientation très développé. C'est même certain, je ne suis pas aussi bête que je veux le faire croire. Mais ce n'est pas ma faute si l'écrasante majorité de mes amies ou de mes anciennes amoureuses ne l'avait pas. Certaines même, en partant d'Amiens, nous auraient facilement fait passer par Brest pour aller à Strasbourg. D'où cette conclusion caricaturale qui me vaudrait d'être lynché sur la twittosphère si j'étais plus lu. Mais pour tout vous dire, je m'en fous royalement.

« La belle descente de Lee ». J'ai adoré. Je suis bon public.

Et vous, pour peu que vous soyez un peu concentrés, vous vous dites: « C’est bien joli tout ça, mais quel rapport avec la descente femmes des Jeux olympiques de 1992. ? ».

Aucun, c'est juste que je me suis encore laissé entraîner dans mes digressions.

C'est la Canadienne Kerrin Lee qui a remporté la descente des Jeux olympiques d'Albertville. Kerrin Lee-Gardner pour être exact, le deuxième nom étant celui de son époux. Mais on va retenir Kerrin Lee, c'est important pour la suite.

Si je le sais, c'est que j'y étais. Par sur les skis, mais en bas de la piste dans la zone presse de Méribel. Je couvrais les Jeux pour Ch'Courrier et j'étais très souvent à Méribel parce c'était là que se déroulait le tournoi de hockey, la raison principale de ma présence aux JO. Mais ça aurait été dommage de ne pas profiter de l'occasion pour découvrir, de près, d'autres disciplines.

Et si je me souviens du nom de la gagnante, c'est parce que mon voisin en salle de presse, un confrère suisse, a titré son papier : « La belle descente de Lee ». J'ai adoré. Je suis bon public.

N'empêche qu'avec son jeu de mots à deux balles (mais en franc suisse, ça vaut plus cher), il a marqué des points. Et mon esprit, puisque trente ans après je m'en souviens encore. D'où l'importance du titre...

Par contre, je ne me rappelle pas beaucoup de ceux de mes propres papiers. Bon, tous, ça ne serait pas possible, en quarante ans de carrière j'en ai bien écrit des milliers. Mais même quelques-uns...Pourtant, ça devait avoir son importance. Lorsque j'étais aux Sports, souvent à la fin d'un match de hockey à Amiens, des supporters me demandaient: « Alors, c'est quoi le titre demain ? ».

À une époque où les sites internet n'existaient pas, et donc les réseaux sociaux non plus, l'information vivait à un autre rythme, elle se découvrait en grande partie le lendemain, dans le journal.

Et le titre devait être un peu original, amusant voire décalé pour donner envie aux gens de lire l'article. Dans notre jargon, on appelle ça le titre incitatif. On ne peut pas être plus clair.

Mais ça c'était avant...

Si tu veux continuer à vivre du journalisme, engendre des clics

Je me souviens quand même très bien d'un de mes titres. Un compte-rendu d'un match de hockey sur glace Amiens-Grenoble au début des années 80, match gagné par Amiens alors qu'il était encore exceptionnel qu'une petite équipe « de plaine » batte celle d'un club historique des Alpes. Si les joueurs de Grenoble s'appelaient déjà « Les brûleurs de loup », ceux d'Amiens étaient alors « Les renards de Picardie ». Et je m'étais donc fendu de ce titre : « Ils brûlent les loups, pas les renards ». Il a eu son petit succès, ne boudons pas notre plaisir.

Et bien ça aujourd'hui, en considérant que le support principal est le site internet, c'est un titre nul. Parce que notre ami Google est incapable de le lire. En tout cas de faire fructifier le texte qui va avec. Si vous ne mettez pas dans le titre les mots clés pour Google, vous avez tout faux. Et on vous explique que sans le référencement Google, moins de clics et donc moins de lecteurs. CQFD. Bref, si tu veux continuer à vivre du journalisme, engendre des clics. D'autant que ça fera monter le prix des publicités. On vit une époque formidable.

Exit donc les loups, les renards et les belettes, il faut retrouver dans le titre « Amiens », « Grenoble » et « hockey ». Comprendo ? Ça limite le champ des possibles et ça nous donne invariablement des titres à la con, mornes comme un soir de novembre au fin fond des Ardennes. L'imagination a cessé d'être au pouvoir. L'important, c'est le clic. Quitte, pour provoquer ce geste pavlovien chez le consommateur que nous n'appellerons plus lecteur, à faire dans le sensationnel, à ajouter une vidéo qui ne sert à rien (parce que l'appel de la vidéo provoque des clics, je vous explique tout), à racoler. Le mot n'est pas choisi au hasard, dans le jargon journalistique on appelle ça « Faire la pute à clics ». Là aussi, on ne peut pas être plus clair. Autant vous dire que dans ce contexte, mon Suisse avec sa « descente de Lee », il peut aller se coucher.

Et moi, quand j'ai vu comment tout cela tournait – j'avoue - j'ai battu en retraite. Euh, pardon, je suis parti en retraite.

192 vues2 commentaires

Posts récents

Voir tout

2 Comments


Nicolas Totet
Nicolas Totet
Aug 25, 2022

Excellent Christophe. Profite et continue de nous écrire des titres incitatifs. J'abhorre cette expression "pute à clics" pour vendre des saucissons ou des voitures sur le net. "La belle descente de Lee" me rappelle cet excellent titre de Libération (des champions pour la titraille) "Willy Voet : ex-magicien dose". Et le texte était aussi à la hauteur du titre, tout comme la photo en clair-obscur, ce qui est aussi une exigence... Bien à toi Christophe. Nicolas T

Like
Christophe Verkest
Christophe Verkest
Aug 25, 2022
Replying to

Merci Nico, moi aussi j’ai en horreur cette expression, particulièrement faux-cul d’ailleurs parce que dire « je fais la pute à clics » c’est une façon de se dédouaner, genre : je fais de la merde mais je le sais donc c’est à moitié pardonné. Alors résistez et faite des titres incitatifs, je reste un fidèle lecteur de ch’Courrier.

Like
bottom of page