Mais ils vont me gâcher la retraite ces cons-là...
Après quelques mois, je prends tranquillement mes marques et si toute cette liberté me donne encore parfois le vertige, c'est un doux vertige. Celui du « Qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de vous », cher à feu José Artur. J'aime bien. Je ne sais pas si, selon l'expression consacrée, c'est mérité, mais j'aime bien.
Sauf qu'au moment de profiter de cette douce quiétude, voilà ti pas que j'apprends que je suis responsable, avec tout mes congénères « babyboomer » (en français dans le texte), de tous les maux dont souffre notre terre aujourd'hui. Et surtout les catastrophes écologiques survenues ou à venir. Ça fait un choc. Nous voilà coupables d'avoir profité du système en polluant allègrement et de continuer à en profiter.
La première fois que j'ai entendu parler d'écologie et de menaces sur notre planète, c'était en 1974
Sont bien gentils, les camarades, mais pour trouver quelqu'un qui vous parlait d'écologie à la fin des années 60, il fallait se lever de bonne heure. Et moi qui ne suis pas plus futé qu'un autre, pour que je comprenne, il faut qu'on m'explique. C'est bien simple, la première fois que j'ai entendu parler d'écologie et de menaces sur notre planète, c'était en 1974. Par René Dumont, candidat à l'élection présidentielle. J'ai même acheté son livre, « L'utopie ou la mort », je dois encore l'avoir, je ne jette rien. Beaucoup l'ont pris pour un gentil illuminé. Il a récolté 1,32% des suffrages exprimés à une époque où les écologistes ne s'autodétruisaient pas encore pour des problèmes d'égo surdimensionné. C'est vous dire si le message ne passait pas.
Alors, je vous ressortirais bien l'expression « responsable mais pas coupable », mais elle est un peu trop connotée. Bon, à la limite, je veux bien reconnaître qu'on les a un peu cherchées les critiques qui nous accablent aujourd'hui. On est un peu cons aussi. Nous n'arrêtons pas, moi le premier, de vanter les belles années 70, peace and love, la liberté, l'accordéon de Giscard, les meilleurs morceaux de rock de tous les temps, l'amour sans capote, la joyeuse insouciance, etc. (Attention, un intrus s'est caché dans la liste, saurez-vous le trouver ?). De quoi donner le regret aux nouvelles générations de ne pas avoir connu cette époque.
Alors que ce qu'il faut comprendre c'est que, comme tous ceux qui ont été vieux avant nous, lorsque nos souvenirs sont empreints de nostalgie, ce n'est pas l'époque de notre jeunesse que nous évoquons, mais notre jeunesse tout court. Ce n'est pas la même chose.
On nous a laissé faire des milliers de kilomètres dans des voitures sans airbag, sans ceintures de sécurité
Parce que ces années 60-70, on aurait pu les raconter autrement. Rappeler que nous avons eu la chance de suivre notre scolarité dans des collèges tout neufs, bourrés d'amiante. Que nos maisons étaient remplies de plomb. Que nous avons été en contact avec plein de matières dont on nous a appris plus tard qu'elles étaient très mauvaises pour notre santé. Que dès le milieu des années 70, les jardiniers ont utilisé le Roundup à tour de bras. Que les gens travaillaient 40 heures par semaine et n'avaient pas de RTT. Qu'on nous a laissé faire des milliers de kilomètres dans des voitures sans airbag, sans ceintures de sécurité – et accessoirement sans clim' pour passer les bouchons de la vallée du Rhône au mois d'août – avec des types bourrés qui arrivaient en face.
On a découvert les joies du cyclomoteur sans casque. On est monté dans des wagons fumeurs. On a dîné dans des restaurants enfumés par des cigarettes qui ne coûtaient pas cher et vendues dans des paquets sans photo de maladies dégueulasses imprimées dessus. Qu'on a connu l'accordéon de Giscard (ah, merde, j'ai donné la réponse du jeu). On ne vérifiait même pas si on nous servait bien cinq fruits et légumes par jour ! C'est bien simple, nous ne sommes pas des coupables, mais des survivants, des miraculés. Quasiment des héros.
Alors venir culpabiliser les petits vieux que nous sommes en train de devenir, ce n'est vraiment pas charitable.
Ils devront répondre, dans quelques années des conneries qu'ils sont en train de faire et qu'ils ne soupçonnent même pas.
Et puisque nos enfants nous montrent du doigt, on pourrait nous aussi faire des reproches à nos parents. Eux, qui avaient connu les privations de la guerre, ont cru – et nous ont fait croire par la même occasion - que les supermarchés, les plats préparés surgelés bourrés de graisse, de sel et de sucre, les couverts en plastique et toutes les inventions du moment étaient les clefs du nouveau bonheur, de la vie facile. Qu'il fallait organiser les villes et les campagnes pour que nos voitures, avec le diesel pas cher, puissent circuler le mieux possible, nous permettant d'aller où l'on veut, quand on veut.
Du coup, lorsque je me dis tout ça, je subodore que les gens qui vilipendent aujourd'hui les insouciants criminels que nous sommes, devront répondre, dans quelques années devant leurs enfants, des conneries qu'ils sont en train de faire et qu'ils ne soupçonnent même pas.
Dommage, je ne serai plus là pour le voir. Parce que dans l'ordre des choses, et tout privilégiés que nous sommes, on devrait quand même passer l'arme à gauche avant eux.
Merci. Et oui, l'idée c'est que c'est toujours un peu plus facile de réécrire l'histoire quand on en connaît la suite.
Splendide ! absolument splendide de vérités. Les vérités d'aujourd'hui ne peuvent être celles de demain, sinon depuis le temps, le monde serait un paradis.......Merci d' avoir fait remonter certains souvenirs qui me rappellent qu'en fait, hier, tout n'était pas mieux qu'aujourd'hui, nous avons juste idéalisé l'instant vécu.