Il faut que je vous fasse un aveu. J’ai porté une cagoule. Pas une cagoule de malfrat avec juste des trous pour les yeux. Non, une cagoule en laine qui vous donnait un peu une tête de Télétubbies.
Bon, on ne disait pas ça à l’époque parce que mon port de cagoule date un peu, de mon enfance pour être précis. Quand je mettais aussi des pantalons rapiécés aux genoux. Des grosses pièces comme celles que l’on mettait aux coudes de nos pulls. Qui elles sont revenues plus tard à la mode au point que l’on vous vendait des pulls neufs avec de fausses pièces. Étonnant, non ?
Je n'en veux pas du tout à ma maman de m'avoir attifé comme ça. D'abord parce qu'à l'âge que j'avais à ce moment là, je n'étais pas encore obnubilé par le désir de séduire. Et que donc les préoccupations esthétiques me passaient largement au-dessus de la tête. Ce qui était d'autant plus facile que je n'étais pas bien grand. Et puis c'était l'époque qui voulait ça. On faisait en sorte de prolonger le plus longtemps possible la durée de vie de nos habits. Du coup, comme enfance rythme avec croissance, vous aviez vite fait de vous retrouver aussi avec des pantalons trop courts.
Alors autant vous dire que quand je partais à l’école avec ma cagoule, mon pantalon rapiécé et mes feux de plancher (c'est comme cela que l'on disait alors), je n'avais pas fière allure. En fait, j’étais même carrément moche. Alors affirmer que c’était mieux avant... ah, ah, laissez-moi rigoler.
Ces souvenirs ne me permettent pas de juger si « c’était mieux avant »
Si je vous dis cela c’est parce que régulièrement je vois défiler sur mon mur Facebook des posts nous vantant la belle vie d’avant lorsque les enfants jouaient dehors, se dépensaient, riaient ensemble…Comment vous dire…? Moi, voir des gens utiliser Facebook pour nous expliquer que la vie était mieux avant, sans smartphone, sans internet et sans réseaux sociaux, ça me laisse perplexe. C’est un peu comme si un type affrétait un jet privé pour aller participer à une manifestation pour le climat.
Certes, les gens qui lisent régulièrement les textes de ce blog, outre que c’est courageux de leur part, ont sûrement remarqué qu’il m’arrive également de cultiver une certaine nostalgie. Ce n’est pas faux. Mais j'ai la nostalgie gaie. Si j’invite ainsi quelques bons souvenirs à remonter à la surface, ce n’est pas pour regretter de ne plus les vivre, mais parce que j’éprouve du plaisir à les évoquer à une époque où je vis également de très bons moments. Et puis surtout ces souvenirs ne me permettent pas de juger si « c’était mieux avant ». Les années passant et les expériences s’accumulant, je ne suis plus le même bonhomme. Et s’il est certain qu’il y’a dans notre époque des choses et des évolutions qui m’exaspèrent, voire qui m’inquiète carrément, je suis sûr qu’en cherchant bien, il y avait au temps de ma jeunesse des tas d’autres choses qui m’horripilaient. Sauf qu’évidemment à 18 ou 20 ans, on se dit rarement que c’était mieux avant.
Les confrontations idéologiques entre militants colleurs d’affiche se réglaient à grands coups de manche de pioche dans la tronche.
Tenez par exemple, la vie politique. On reste confondu aujourd’hui face à la pauvreté des débats, des invectives, des polémiques quotidiennes autour de « petites phrases » amplifiées par les réseaux sociaux. Et l’on regrette les vraies confrontations idéologiques d’avant lorsque la politique avait du sens. En oubliant que parfois, en période électorale, les confrontations idéologiques entre militants colleurs d’affiche se réglaient à grands coups de manche de pioche dans la tronche. Ça, c’était du débat d’idées ! Et je précise que je ne dis pas « manche de pioche » pour faire plus terroir, mais parce qu’à l’époque les battes de base-ball ne faisaient pas encore partie de notre culture.
Et ces enfants qui jouaient dehors dans une joyeuse insouciance et une franche camaraderie… À condition évidemment de ne pas être la tête de turc du groupe. D’être celui qui allait subir les vexations, les humiliations, voire quelques petits sévices corporels. Des choses qui existaient déjà avant les réseaux sociaux, si, si je vous assure.
Enfin, argument massue, les gens qui sont assez vieux pour avoir effectué des créneaux avec une voiture sans direction assistée savent bien que les progrès techniques n'apportent pas que des mauvaises choses. Ah, ah, ça prouve bien...
C’était mieux avant… J’ai déjà écrit dans ce blog que lorsque l’on dit cela, ce que l’on regrette, ce n’est pas tant l’époque d’avant que notre jeunesse elle-même.
Et l’autre jour, en allant acheter mon pain à la boulangerie (la précision n’est pas inutile dans la mesure où l’on peut aussi acheter son pain dans un supermarché pour peu que l’on ne soit pas regardant sur la qualité), je me disais que si on pousse un peu ce raisonnement du « c’était mieux avant », on peut imaginer que nos enfants diront la même chose en évoquant leur passé. Qui est notre présent. Celui de 2022 que nous ne goûtons guère, préférant l’époque précédente. Celle de nos parents qui, eux, regrettaient sûrement celle d’avant. Celle de nos grand-parents qui, eux, etc. En continuant comme cela, on en vient à penser que le Moyen Âge - où l’on écartelait volontiers le mécréant qui ne pensait pas correctement ou que l'on ébouillantait joyeusement le premier voleur à la tire venu *- était l’antichambre du paradis sur terre. Lequel se situerait à l’époque qu’ont connu les hommes préhistoriques, dont l’espérance de vie ne devait guère passer les 40-45 ans pour peu qu’ils ne se fassent pas emboutir par un auroch en furie ou piétiner par un mammouth en sortant distraitement de leur caverne sans emprunter les passages piétons.
Mais bon, allez-vous me dire, ils n’avaient pas Twitter, ni CNews et ils ne regardaient par Cyril Hanouna. Comme quoi ils n’étaient pas aussi bêtes que leur tenue vestimentaire pouvait le laisser supposer. Et en plus ils n’avaient même pas de cagoule !
*À ce propos, je vous conseille de lire l'excellent roman de Jean Teulé « Je, François Villon ».
Ah, excellent, comme toujours. Idem pour la cagoule. Mais, avec les copains, on avait une astuce pour "ironiser" le truc : on la mettait dans l'autre sens, c'est à dire qu'on enfilait côté" visage", au lieu du côté "cou" ...et on disait qu'on portait un masque de plongeur ! ;) Merci pour ces tranches de vie vécues et remontées à la surface, c'est vivifiant.