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Photo du rédacteurChristophe Verkest

Bons baisers de Togliatti

Dernière mise à jour : 24 août 2023

Un déplacement sportif au fin fond de la Russie à la fin du XXe siècle, ça restait une aventure. Inoubliable.

Accréditation presse pour le match d'Européean Hockey League (EHL) entre le Dynamo de Moscou et Amiens en 1997.

Elle a mon passeport dans une main et son tampon dans l'autre. Son regard va de ma tête à la photo du passeport. Ou l'inverse. Va savoir pourquoi, dans sa petite guérite de l'aéroport de Moscou, cette grosse dame en uniforme marron m'évoque l'univers des James Bond. Celui des premiers films. Rosa Klebb, c'est ça ! La méchante avec ses chaussures à cran d'arrêt de « Bons baisers de Russie ». Un truc pour connaisseurs. Voilà, ma douanière me fait penser à Rosa Klebb.

« Mais vas-y, tamponne ce fichu passeport et laisse moi partir de là.. »...C'est pas que la situation soit dramatique, loin de là, mais j'ai rarement été aussi pressé de mettre fin à un voyage.Nous sommes à la fin des années 90 et avec l'équipe de hockey sur glace d'Amiens, nous revenons de Togliatti. Journaliste sportif, je l'ai suivie là-bas, sur les bords de la Volga, où elle disputait un match de coupe d'Europe. Les gars sont sympas, ce n'est pas le problème.

Le problème c'est Togliatti en cette fin de XXe siècle dans une Russie qui n'est plus l'URSS, mais qui n'a pas encore complètement entamé sa mutation. Entre deux eaux, entre deux mondes.

Pour ne rien arranger, à l'aller dans l'avion qui nous menait de Moscou à Samara, hasard ou perversité de l'agent de la compagnie aérienne, je me suis retrouvé assis entre deux Russes qui visiblement se connaissaient et qui ont passé le voyage à discuter. Ils avaient le droit. Le problème c'est que pour échanger, dans cet avion un peu bruyant, ils se penchaient à chaque fois au dessus-de moi pour être bien sûr de se faire entendre, ou d'entendre. À part l'accent, que je maîtrise assez bien grâce aux « James Bond » des années 60, je suis assez limité en Russe. C'est donc avec quelques signes que je leur ai proposé d'échanger nos places pour leur faciliter la discussion. Ont-ils interprété mes gestes comme les singeries d'un Occidental original ou étaient-ils trop disciplinés (des décennies d'URSS, ça ne s'efface pas d'un coup) pour s'asseoir dans un siège qui n'était pas le leur ? Toujours est-il qu'ils ont superbement ignoré ma proposition et m'ont postillonné dessus durant tout le voyage. Heureusement, à l'époque on avait pas encore inventé le COVID-19.

« Si vous partez avec eux, on ne vous revoit plus »

C'est donc avec un certain soulagement que j'ai vu arriver l'aéroport de Samara. Ça n'a pas duré. L'aéroport de Samara...Comment vous dire ? Rustique. Une fois traversé à pied les pistes, on arrive dans un hall qui tient plus du hangar que du hall d'aéroport. À l'intérieur, plusieurs types hirsutes et avec une tête disons peu engageante proposent leurs services pour faire le taxi. Histoire de nous mettre dans l'ambiance, l'interprète qui nous accompagne, nous lâche : « Si vous partez avec eux, on ne vous revoit plus ».

Humour russe ? Va savoir. Toujours est-il que nous n'avons pas besoin de taxis puisqu'un bus nous attend. Avec deux flics à l'intérieur. Une voiture de police devant, une autre derrière et nous voilà partis vers Togliatti, sans jamais nous arrêter à un seul carrefour. Durant ce transfert dans ce décor de steppe enneigée, on aperçoit parfois au milieu de nulle part des groupes de quelques hommes autour d'un brasero. Ne me demandez pas ce qu'ils faisaient là, je n'en sais rien.Ce que je ne savais pas non plus, c'est que durant notre passage à l'aéroport, nos sacs et valises s'étaient un peu allégés. Disparus les flacons de parfum et bouteilles d'alcool achetés au Duty free. ! Quand on peut faire plaisir...

Et voici Togliatti, dont on ne verra pas grand chose. Parce qu'il n'y a rien à voir. Une ville étrange, bâtie dans les années 60 dans une logique toute soviétique. On installe des usines et on met des immeubles autour pour loger les ouvriers. Efficace, mais pour le reste, question cachet et ambiance, ça laisse à désirer.

Parmi ces usines, il y a surtout celle qui fabrique des automobiles que l'on connaît à l'ouest sous le nom de Lada. Le club de hockey s'appelle d'ailleurs le Lada Togliatti. Et puisque l'on est dans les noms, restons-y. Cette usine automobile a été construite avec l'aide et l'expertise de Fiat. Et pour continuer sur un air italien, on a appelé la ville Togliatti du nom d'un des fondateurs du Parti communiste italien. Grâce à la documentation fournie par la Ville, on ne repartira pas complètement idiot.

Nous avons donc fait face durant les 60 minutes du match à 5000 Russes

Pour être tout à fait exact, à l'époque Togliatti renfermait quand même en son sein une curiosité. Sa patinoire qui a changé depuis. Ou plutôt sa patinoire théâtre. D'un côté, des gradins pouvant accueillir quatre à cinq mille spectateurs, la surface de glace et enfin, de l'autre côté, une grande scène de théâtre. Que mon confrère de la radio et moi-même avons eu le temps d'apprécier puisque c'est de là que nous avons suivi le match. Rien que nous deux. À l'époque où le wifi n'existait pas, nous avions besoin d'une ligne téléphonique. Lui pour causer dans le poste pendant le match et moi, après, pour dicter mon papier au steno du journal. Et la ligne téléphonique se situait côté scène. Nous avons donc fait face durant les 60 minutes du match à 5000 Russes. Qui, il faut bien le dire, étaient heureusement beaucoup plus intéressés par ce qui se passait sur la glace que par les deux olibrius assis au milieu de la scène de théâtre. Sinon, timide comme je suis, j'en aurais conçu une certaine gêne. C'est d'ailleurs sûrement cette timidité - et un peu une absence totale de talent dans ce domaine – qui a fait que cette curieuse expérience n'a pas provoqué chez moi une vocation théâtrale. Elle ne m'a pas non plus donné plus que ça l'envie de prolonger mon séjour.

Heureusement à Moscou, Rosa s'est quand même décidée à apposer son tampon sur mon passeport. Libéré, délivré ! Et peinard. Le prochain match de cette équipe amiénoise est prévu en Suisse. Et si les Helvètes parlent lentement, ils tamponnent beaucoup plus vite.

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