Clint Eastwood. Avec le poncho et le cigarillo dans « Pour une poignée de dollars » ou « Pour quelques dollars de plus ». Clint Eastwood entrant dans le saloon d'un patelin où il n'avait jamais mis les pieds. L'étranger. C'est l'image, fugace, qui m'est venue à l'esprit, lorsque j'ai poussé la porte de ce café et que tous les clients se sont tournés vers moi, d'un seul homme, avec un air suspicieux, pour ne pas dire hostile. Impressionnant.
Bienvenue à Vsetin, charmante (faut le dire vite) bourgade du fin fond de la république tchèque, non loin de la frontière slovaque. Où je me trouve en cette fin d'année 1997 pour assister à un match de coupe d'Europe de hockey sur glace, baptisée EHL à l'époque, entre l'équipe locale et celle d'Amiens dont j'ai déjà eu l'occasion, dans ce blog, d'évoquer d'autres épisodes de ses campagnes européennes.
Me voilà donc dans ce bistrot, comme Clint Eastwood, mais l'assurance en moins. J'ai pourtant fait l'effort de passer ma commande avec le seul mot de tchèque que je connaisse, « pivo », bière en français, mais ça n'a pas dégelé l'ambiance pour autant. Autant vous dire que j'ai fait fissa pour la boire et j'ai rejoint la patinoire pour retrouver l'équipe amiénoise.
Qui était confrontée à un petit problème : un joueur avait oublié un de ses patins à Amiens. C'est ballot. Il lui restait soit à déclarer forfait, soit à jouer le match sur une jambe, soit à se faire prêter une paire de patins par le club tchèque. C'est cette dernière option qu'il a choisie. Ce genre d'anecdote constitue normalement une véritable aubaine pour le journaliste en vadrouille qui aime bien raconter des petites histoires rigolotes. Sauf que celle-là, je ne l'ai pas écrite dans le journal. Je ne suis, en effet, pas resté sourd à la demande du joueur en question qui avait été, cette saison-là, pris en grippe, avec ses deux coéquipiers de ligne d'attaque, par une partie du public amiénois. Il craignait que cet incident ne mette encore un peu plus d'huile sur le feu. Je n'ai donc pas souhaité être celui qui allait ouvrir la bouteille d'huile. J'estimais que les grands principes du journalisme pouvaient se remettre de cette volontaire omission. Et puis je n'ai jamais aimé les spectateurs qui vocifèrent à tort et à travers dans les tribunes.
La transformation se lisait même sur leur visage tant celui-ci pouvait parfois prendre des expressions haineuses.
Cette attitude critique – critique et véhémente – du public fait partie de ces comportements étranges et souvent irrationnels que peut générer le spectacle sportif. Ça m'a toujours laissé circonspect.
J'ai ainsi connu – et j'ai des noms en tête – des gens tout à fait comme il faut, intelligents, cultivés et particulièrement sociables, se transformer en parfaits abrutis dès lors que le match de « leur » équipe commençait. Devenant alors parfaitement subjectif, ordurier avec l'adversaire et souvent avec l'arbitre pour peu que son sifflet ne sanctionne pas la bonne équipe. N'hésitant pas à morigéner tel ou tel joueur qui manquait sa passe ou son tir. Bon, là, c'était juste pour utiliser « morigéner » et je ne suis pas mécontent d'avoir placé ce verbe qui aurait pu figurer dans mon texte sur les vieux mots.
Mais revenons à nos supporters dont la transformation se lisait même sur leur visage tant celui-ci pouvait parfois prendre des expressions haineuses. Je n'exagère pas et je peux vous dire que ça fait peur.
La comparaison qui va suivre va peut-être vous paraître osée, mais ça tient finalement un peu de la même logique. Si tant est que l'on puisse parler de logique dans ce domaine. En voyant ça, je comprenais un peu mieux comment un dictateur fou furieux, plutôt doué pour les mises en scène spectaculaires, avait réussi à fanatiser un nombre incroyable d'individus jusqu'à transformer en bourreaux des gens ordinaires comme vous et moi. Ce sont toujours les crimes commis par les gens ordinaires qui font le plus peur, c'est bien connu.
Je crains malheureusement, en suivant l'actualité politique, que les leçons de tout cela n'aient pas été bien retenues.
On en conclura donc que c'était juste des malpolis
Mais nous nous éloignons un peu – beaucoup – de la patinoire de Vsetin. Malheureusement pour moi, l'ambiance, le soir, dans la tribune de presse où j'étais le seul journaliste étranger, s'est révélée à peu près aussi chaleureuse que celle de mon bistrot de l'après-midi. On pourrait certes avancer la barrière de la langue et ma connaissance d'un seul mot tchèque pour expliquer l'absence de dialogue avec mes confrères locaux, mais ces derniers n'ont même pas dénié essayer de m'adresser un seul mot, de baragouiner une petite phrase en anglais - ou en allemand – un petit welcome, voire même une petite question genre « pivo ? » qui aurait été fortement appréciée. La question autant que la bière. On en conclura donc que c'était juste des malpolis, franchement pas aimables. Qui ne m'ont même pas décroché un sourire. Bref, j'étais transparent. Démerde-toi pour travailler, camarade.
Mais le meilleur – si j'ose dire – était pour la fin. La fin du match, à l'issue duquel, pour aller serrer les paluches de ses adversaires, le gardien de l'équipe d'Amiens, Antoine Mindjimba, a ôté son casque. Et là, mes petits copains de la tribune de presse ont constaté qu'il avait la peau noire. Je n'avais pas eu le temps d'apprendre le tchèque pendant la rencontre, mais à les voir se donner des coups de coude en s'esclaffant, j'ai bien compris qu'ils s'échangeaient quelques mauvaises plaisanteries sur la couleur de peau du gardien amiénois, en même temps qu'ils manifestaient leur surprise. C'est bien simple, ils auraient croisé un extraterrestre que ça ne leur aurait pas fait plus d'effets.
Et là, ce n'est plus dans un western que j'ai eu l'impression d'être plongé, mais carrément au Moyen-âge.
Comments