Le kéké. Type. Celui qui fait du slalom dans la file de voitures en faisant vroum-vroum. Et que vous retrouvez immanquablement à côté de vous au feu suivant. Du coup avec mon amoureuse, nous nous sommes un peu gaussés. En langage fin du XXe, début du XXIe, ça donne « on s'est foutu de sa gueule ».
Et là, en regardant le véhicule du kéké, mon amoureuse me sort : « En plus il a plein de colifichets dans sa voiture ». J'adore ! Là où le commun des mortels aurait vu « plein de gadgets à deux balles », « des trucs pas possibles » ; « des décos à la con », etc. ma chérie, elle, elle a vu des colifichets. !
Elle est comme ça. Naturellement, pas pour faire précieux. Ça lui sort... Elle est capable de vous placer des « nonobstant » ou des « À l'aune de... » dans nos conversations quotidiennes. Elle a de la chance, avec moi elle est tombée sur un bon public. Je suis fan. Parce qu'entre autres choses, nous partageons ce goût pour le vocabulaire, les jolis mots et particulièrement ceux passés de mode. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion d'écrire un texte dans ce blog sur les vieux mots.
Alors on ne s'en prive pas, quitte à faire sourire nos enfants. Ils ne risquent rien, ils ont passé l'âge de se faire morigéner. Engueuler, quoi, ou « se faire crier dessus » en allant chercher quelques années plus en arrière. Nous pourrions à la limite les vilipender mais nous les aimons trop pour faire une chose pareille. Il ne manquerait plus qu'ils viennent se plaindre en nous disant : « Arrête de me traiter ». Langage de cour d'école, milieu du XXe siècle. Une époque où on allait « faire ses commissions ». Pas au cabinet, l'ancêtre des toilettes, non au magasin, chez l'épicier du coin. On devait être moins pressé qu'aujourd'hui puisque maintenant on fait ses courses. Quand on ne se les fait pas livrer.
Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il subodore que vous êtes un enfant issu d'une relation adultérine
Il y a les vieux mots mais il y a aussi les expressions, pas obligatoirement toutes neuves celles-ci, qui ne veulent pas obligatoirement dire ce qu'une explication mot à mot pourrait laisser entendre. Ainsi, si quelqu'un vous assène un « espèce de bâtard », cela ne veut pas nécessairement dire qu'il subodore que vous êtes un enfant issu d'une relation adultérine mais plutôt qu'il vous considère comme un vilain personnage. Après je ne suis pas certain qu'il soit judicieux d'essayer d'entamer un débat sémantique avec quelqu'un qui vient de vous alpaguer de la sorte. Mais vous pouvez toujours essayer...
Idem pour le célèbre « fils de pute ». Là encore, je ne suis pas persuadé que la personne qui vous invective ainsi sous-entende que votre mère exerce, ou a exercé, la profession de péripatéticienne. Il considère peut-être juste que vous êtes un être vil et peu recommandable. Et comme pour l'espèce de bâtard, échanger avec l'auteur de cette vilaine expression pour lui demander s'il connaît bien le mot « péripatéticienne » me semble un poil risqué. Surtout s'il est plus baraqué que vous.
Mais tout ceci nous éloigne de nos vieux mots, de nos jolis mots.
L'autre jour ainsi, bonheur de la transmission familiale, ma petite-fille m'a dit qu'elle était toute « guillerette » en me précisant que son papa, mon fils, lui avait dit que je connaîtrais ce mot et que ça m'amuserait de l'entendre dans sa bouche.
De même, il y a peu, au fil d'une lecture, je suis tombé sur « ritournelle ». J'aime bien, c'est joli. Mais comme même ma chérie ne m'a pas encore demandé de lui chanter une ritournelle, je pense que le mot est tombé en désuétude.
Où l'on pourrait par contre lire un récit « glaçant »
Il en va ainsi de notre langue, vivante puisqu'elle évolue. Des mots, des expressions sombrent dans l'oubli pour faire la place à d'autres. Et ce n'est pas toujours lié à une nouveauté dans le vocabulaire. Tenez, par exemple, « résilience », voilà un mot qui ne date pas d'hier. Pourtant pour avoir beaucoup écrit, et également beaucoup lu, dans les années 80, 90, je n'ai pas souvenir d'avoir souvent vu, entendu ou employé « résilience ». Mot que l'on nous sert pourtant régulièrement aujourd'hui. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme.
Parmi les tics d'écriture que l'on peut retrouver dans la presse – il y a comme ça régulièrement des effets de mode – nous avons eu (avons encore?) « c'est dans son ADN ». Que l'on sort immanquablement pour expliquer aux lecteurs que telle ou telle action d'une personne est conforme à ses valeurs, la représente bien, fait partie de sa culture, de ses traditions familiales, etc. Concernant cette expression, on comprendra toutefois facilement que l'on n'a aucune chance de la retrouver dans un roman du XIXe.
Où l'on pourrait par contre lire un récit « glaçant ». Alors là, si vous êtes un peu attentifs, vous remarquerez que ce « glaçant », on vous le sert à toutes les sauces en ce moment. Généralement dans la narration, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, des faits divers. C'est tellement devenu à la mode que je l'ai même lu dans un compte-rendu de match de foot où l'on signalait le « réalisme glaçant » d'un attaquant. Qui aurait peut-être du s'essayer au hockey sur glace, il aurait été plus dans son élément.
Ainsi en-va-t-il du vocabulaire, qu'il soit journalistique ou pas. Dans ce monde glaçant et changeant, on a donc peu de chance de retrouver écrit « dès potron-minet »qu'un de mes confrères, plus âgé que moi, enployaît parfois lorsque j'étais à la rédaction sportive. Là aussi, j'adorais.
Il y en a peut-être parmi vous, les plus jeunes, qui à ce stade du texte, iront regarder chez notre ami Google ce que peut bien vouloir dire ce dès potron-minet. Ils obtiendront certes rapidement la réponse mais leur quête s'arrêtera là. Alors que si, à l'ancienne, ils ouvrent un dictionnaire, ils risquent de partir à la découverte de tout un monde de mots inconnus. Evidemment j'ai fait l'expérience, je suis allé chercher « dès potron-minet » dans mon dictionnaire Hachette, édition 2003. Quand on peut se faire plaisir …
J'y ai ainsi découvert que « dès potron-minet » se disait aussi « dès potron-jacquet », expression que je n'ai jamais entendue. En continuant sur la page, je suis tombé sur poujadisme (dont je parle dans mon texte « De grands moments de solitude »,), pouliethérapie, pouce-pied, potestatif, potlatch, pouceux, pouillé, poulaine, etc. Si vous êtes capables de me donner la définition de tous ces mots, vous avez gagné un abonnement à vie à mon blog. Il y avait aussi potiche et pouffiasse mais c'est en découvrant potomanie : « trouble qui consiste en un besoin de boire permanent » que j'ai arrêté là ma quête. C'était l'heure de l'apéro.
Je suis rassurée, je connaissais pas mal de vocabulaire... Il me manquait juste "morigéner". J'ai appris quelque chose. Merci pour cette belle plume, Christophe.
Anne D. Lefèvre