J'ai senti comme un flottement. Avec mes potes, nous venions de nous installer dans les gradins du gymnase pour assister à un match de hand, niveau régional. Avisant l'arbitre de la rencontre, à l'embonpoint très prononcé et voulant sûrement tester mes capacités de futur journaliste (je venais de décrocher mon diplôme, ça ne date pas d'hier), je lâche : « Dommage que ce ne soit pas du foot, on aurait pu écrire le terrain était gras, l'arbitre aussi. » J'en conviens, ce n'était pas très fin – c'est le cas de le dire – mais normalement, et compte tenu de ce que l'on avait bu avant de venir, ça aurait dû au moins arracher un sourire aux copains. Et là, donc, comme un léger flottement. Jusqu'à ce que le pote à côté de moi me donne un coup de coude et me glisse à l'oreille que la dame assise juste à ma droite était justement... l'épouse de l'arbitre. Et voilà comment l'on se plonge dans un grand moment de solitude.
Nous y avons tous eu droit un jour ou l'autre. De bien des manières. Parfois pour un terme employé malencontreusement. J'ai déjà eu l'occasion dans ce blog de vous parler de ma rencontre avec un joueur de golf aveugle. Mais je n'avais pas tout dit ! Après l'avoir suivi sur son parcours, nous nous sommes retrouvés au club house pour continuer à échanger. Un échange sympa, discussion à bâtons rompus. Je me détends et là, parlant de je ne sais plus quoi, je lâche « Je ne sais pas si vous voyez ». Je crois que je ne me serais même pas rendu compte de ma bourde si, avec son humour caustique, mon interlocuteur ne m'avait immédiatement répondu : « Ben, non justement, je ne vois pas... » . Houla, un ange passe...
Avec l'expérience, parfois, on apprend à contrôler un peu mieux sa parole. À se taire quand il faut, à bien jauger les gens qui sont autour de soi avant de lâcher une connerie. Surtout par les temps qui courent où l'on se retrouve vite catalogué de raciste, d'homophobe ou de « comique troupier poujadiste », comme on me l'a dit une fois. Et vous vous doutez bien que pour avoir fait référence à Poujade, celui qui m'a balancé ça ne doit plus être de la première jeunesse aujourd'hui. Et je laisse les plus jeunes interroger Google pour en apprendre un peu plus sur Pierre Poujade.
Bon, cette parenthèse fermée, une fois que vous avez appris à bien contrôler tout ce que vous dites, si en plus vous réussissez à vous montrer convaincant pour asséner des vérités auxquelles vous ne croyez pas, vous pouvez envisager de réussir une carrière politique.
Attention toutefois, les grands moments de solitude ne sont pas uniquement provoqués par des déclarations intempestives ou blagues douteuses.
Être un peu tête en l'air peut aussi vous amener à en vivre quelques-uns. Et je sais de quoi je parle.
Je ne sais ce que j'avais bu la veille au soir, mais ça devait être fort.
Je me souviens ainsi d'un matin où j'avais rendez-vous pour un reportage au sein du club d'aviron de la ville. Je rejoins le président de l'association dans son bureau et je m'aperçois que je suis parti sans stylo. Je lui en emprunte donc un. Jusqu'ici, ça va. J'ouvre alors ma petite sacoche pour attraper mon calepin qui est malheureusement, lui aussi, aux abonnés absents. J'ai visiblement oublié de le remettre dans cette maudite sacoche. Je demande alors au monsieur si, par hasard, il n'a pas quelques feuilles blanches à me prêter. Pour mettre en confiance quelqu'un face au journaliste qui vient l'interroger, je pense qu'il y a mieux comme entrée en matière. Heureusement, la séance photo qui a suivi s'est déroulée sans encombre. Enfin, je le pensais jusqu'à ce que je revienne au journal et que je me rende compte que j'avais oublié de mettre une pellicule dans l'appareil...
Je ne sais ce que j'avais bu la veille au soir, mais ça devait être fort.
Et ne pensez pas qu'avec le numérique vous êtes complètement à l'abri sous prétexte que sans carte mémoire pas de prise de vue possible. Je m'en suis rendu compte lorsque dans une bourgade proche d'Amiens, je place les gens en face de moi pour immortaliser un joli rang d'oignons. Souriez... Clic-clac. Ah ben non, pas clic clac, ma carte mémoire est restée dans l'ordinateur du bureau quand j'ai chargé les photos de mon reportage précédent. Et bien, merci d'être venus messieurs, dames, ne bougez pas, je reviens tout à l'heure.
Maintenant que je vous raconte tout cela, je comprends un peu mieux pourquoi je n'ai pas fait une si belle carrière au Courrier Picard...Après, tout dépend de ce que l'on appelle une belle carrière, mais, ça, c'est une autre histoire.
Le genre de craquement qui ne laisse aucun doute sur les dégâts occasionnés.
Pour en revenir aux grands moments de solitude, je me suis en partie rassuré en constatant que ça n'arrivait pas qu'à moi.
En tout début de carrière, un de mes confrères m'a ainsi raconté un fâcheux incident qui lui était survenu lors d'un reportage. Un voyage de deux jours du côté de Cognac, si mes souvenirs sont bons, pour je ne sais plus quel sujet. En montant dans le petit avion qui devait les mener sur place, il entend son pantalon craquer. Vilainement. Le genre de craquement qui ne laisse aucun doute sur les dégâts occasionnés. Par chance, il portait alors un imperméable qui lui descendait jusqu'aux genoux et masquait l'endroit (situé à son envers) de l'incident. Sauf qu'une fois arrivé à Cognac, il faisait grand beau. Beau et chaud. Et comme durant les deux jours du reportage, mon confrère s'est bien gardé d'ôter son imper, il s'est régulièrement trouvé quelqu'un pour lui demander s'il n'avait pas trop chaud ainsi équipé. « Non, non ça va, il y a quand même un petit vent frais... ».
Si je me souviens très bien de cette anecdote, c'est que j'en ai tiré une leçon. Par la suite, et durant toute ma carrière, dès que je partais en reportage, même pour un aller-retour ne nécessitant qu'une nuit à l'extérieur, j'emportais toujours un pantalon de rechange. Et même sans faire de reportage, j'ai gardé cette habitude aujourd'hui.
Et puis parfois, on parle trop vite . Et là non plus, il n'y a pas qu'à moi que ça arrive. Un jour, une de mes anciennes consœurs, mais toujours amie, a envoyé un mail à l'ensemble de la rédaction du journal - afin que personne ne soit surpris - pour annoncer qu'elle venait de changer de nom.
Ce changement de patronyme mit en joie ma compagne de l'époque qui, subodorant un mariage récent, prit immédiatement son téléphone pour présenter à l'intéressée ses plus sincères félicitations. Ce qui a fait sourire son interlocutrice qui lui a répondu que c'était gentil, mais qu'il n'y avait pas là matière à félicitations. « Je reprend juste mon nom de jeune fille, je viens de divorcer... »
Sur que l'on a tous eu notre moment de solitude et je pense, qu'en vieillissant ça ne s'arrange pas vraiment.... Avec l'âge on prends moins de précautions...on a tendance a supprimer des filtres