Il se fout de moi. Mon fils se moque de moi parce que je lui ai dit que j'allais bouquiner. C'est le mot bouquiner qui l'a fait rire. « Il n'y a que toi pour utiliser un mot comme ça », qu'il me dit. Je ne suis pas sûr que ce jugement soit exact d'ailleurs. Il doit bien rester parmi les plus de 50 ans quelques-uns qui utilisent encore ce mot. Mais visiblement, la génération suivante le trouve légèrement suranné. Bon, je ne lui ai pas dit ça - « suranné » - je ne suis pas du genre à tendre l'autre joue. Une fois, ça va.
Notez bien, vu le temps que passent les gens aujourd'hui à lire des livres, ce débat sur « bouquiner » ne se tiendra plus longtemps. Il faut que je me méfie, je suis en train de tourner au vieil aigri qui trouve toujours que c'était mieux avant.
Ce qui est sûr, c'est que j'ai une tendresse particulière pour les « vieux mots », ceux qui sont un peu tombés en désuétude. Ah, je ne sais pas s'il fallait l'utiliser celui-là, « désuétude ».
Il y a d'abord ceux qui provoquent une certaine nostalgie, parce que c'était des mots qu'utilisaient nos parents. Personne ne me dira plus « mets ton paletot » pour me demander d'enfiler ma veste. Ou de ne pas oublier mon « cache-col » ou mon « cache-nez » d'ailleurs. Et encore moins d'enfiler mon « tricot de peau », expression qu'on n'utilisait déjà plus beaucoup il y a trente ans.
« Gourgandine », agréable à l'oreille, sauf évidemment pour celle à qui il était destiné.
Mais il y a également ceux qui sonnent délicieusement rétro. J'ai ainsi une tendresse particulière pour « gourgandine », agréable à l'oreille, sauf évidemment pour celle à qui il était destiné. Dans la même veine, « mijaurée » n'est pas mal non plus. Alors... Comment expliquer « mijaurée » au moins de cinquante (quarante?) ans ? « Ne fais pas ta mijaurée » en langage des banlieues du XXIe siècle, ça donnerait à peu près « Vas-y, fais pas ta pute » . Ce qui, outre que ce n'est pas d'une grande délicatesse, serait une assez mauvaise traduction dans la mesure où si la mijaurée en fait des tonnes, elle n'est pas une femme facile, prête à vendre ses charmes, contrairement à la pute finalement plus près de la gourgandine. Ou de la « femme à la cuisse légère », c'est au choix.
Vous noterez, signe d'une époque malheureusement pas encore tout à fait révolue, que ces expressions ne concernent que les femmes. L'homme, lui, avait juste le droit d'être un «Don Juan », sans que cela ne soit d'ailleurs franchement péjoratif.
La cassette vidéo, enterrée par le DVD lui même enterré par le streaming
Sinon, j'adore aussi « balivernes ». Peut être parce que c'est un peu ce que vous êtes en train de lire. Des « sornettes » quoi. Qui ne sont pas obligatoirement des mensonges, soyons précis. D'ailleurs pour rester dans ce domaine, on notera que lorsque la génération qui suit la mienne dénonce les menteurs, elle les appelle « mytho », raccourci de mythomane je suppose. À ceci près que le menteur qu'ils désignent sait parfaitement qu'il raconte des carabistouilles (C'est mignon aussi « carabistouilles » mais ce n'est pas français. Dommage). Alors que le mythomane, lui, finit par croire ses histoires.
Il y aussi des mots ou des expressions que l'on n'emploie plus parce que ce qu'ils désignent n'est plus en usage. Comme la cassette. Pas celle de l'Avare de Molière, la cassette vidéo, enterrée par le DVD lui même enterré par le streaming. Du coup, exit également le magnétoscope. Ou la mini cassette, comme on disait, terrassée, elle, par le CD vaincu à son tour par la dématérialisation mais aussi, et c'est un cas rare, par le retour en grâce du vinyle. Résurrection qui n'a toutefois pas provoqué le retour du « pick-up » ou du « tourne-disques », abandonnés dans les oubliettes des mots au profit de la platine.
Dans le domaine technologique, on constatera que les plus âgés d'entre nous ont encore quelqu'un « au bout du fil » quand ils téléphonent. Alors qu'il y a longtemps qu'il n'y a plus de fil. Cela dit, je me demande si je ne préfère pas encore « donner un coup de fil » que faire du « phoning ».
Mais bon, c'est ainsi, et si les mots évoluent, c'est qu'ils sont vivants, c'est bon signe.
Et ça nous permet de constater que le temps passe vite. Alors que l'on pensait être d'une incroyable modernité en disant que l'on « avait le blues » pour exprimer notre état mélancolique, il nous classerait immédiatement dans la catégorie des vieux. Ce qui attend ceux qui, aujourd'hui, « ont le seum ».
Idem pour nos « boums » d'adolescents qui ont balayé les « surprise-party » des années 60 avant d'être victimes du verlan pour laisser la place à la « teuf », elle même atteinte aujourd'hui par la limite d'âge.
Il en va de même pour les noms propres passés dans le langage courant. Si aujourd'hui vous dites d'un conducteur pressé « qu'il joue les Fangio », on comprendra tout de suite que vous n'êtes pas natif de ce siècle. Et si « Poulidor » fait preuve d'une belle longévité pour désigner les éternels deuxièmes, ses jours sont sûrement comptés.
Et qui traduit encore une atmosphère d'intrigues agrémentées de médisances et d'histoires d'amours compliquées par cette expression « C'est Dallas » ?
Titillé par la curiosité, je suis ainsi aller vérifier la définition de « bouquiner »
Même les marques, dont les noms servent abusivement à désigner un produit, ne sont pas à l'abri du phénomène. Si « Velux » tient bien la rampe tout comme la « fermeture Éclair », « Frigidaire » tend à faiblir et « Mobylette » est quasiment passée de vie à trépas.
Ce qui est sûr par contre, c'est que lorsque l'on aime les mots, neufs ou vieux, on ne peut pas éviter le détour par un dictionnaire. Papier si vous êtes « old school » - euh pardon « vieille école » - ou sur le net. Titillé par la curiosité, je suis ainsi aller vérifier la définition de « bouquiner ». Qui, oh miracle, selon le Larousse, peut avoir plusieurs sens. Lire bien sûr ou rechercher de vieux livres d'occasion. Mais aussi « s'accoupler », ce qui évidemment change la donne et peut créer l'équivoque au moment de dire « Je vais bouquiner ». Certes, toujours selon le Larousse, ça ne s'utilise qu'en parlant de bouc ou de chèvre, mais bon, ils sont nombreux ceux qui au cours de leur vie amoureuse se sont vus affubler d'un petit nom d'animal : mon chat, mon lapin, ma puce...
Je me demande s'il existe un mot pour l'accouplement des puces.
Excellent, comme toujours ! J'avais tiqué pas mal à l'époque quand le "trop bien !" avait remplacé le "très bien !". Car comment ensuite exprimer quand il y a "trop" de quelque chose, dans le sens de.... trop, quoi ! ;)