Ni voyez aucune trace de méchanceté ou désir de moquerie. Lorsque je regarde à la télévision des championnats d’athlétisme, championnats du monde ou jeux olympiques, j’adore m'attarder, lors des séries de courses, sur les représentants de pays improbables qui vont terminer bons derniers. J’aime bien qu’ils soient là. Vous savez ces petits bonhommes qui sur 100m moulinent derrière les « cadors » pour terminer 10 mètres derrière. Notez bien que 10 mètres derrière sur un 100m à cette allure-là, ça fait à peine une seconde. Et qu’est-ce-que c’est qu'une seconde ? Juste le temps qu’il vous faut pour tourner la page de votre livre.
J’aime bien qu’ils soient là parce que peut être qu’en les voyant je me souviens qu’en 1976 mon record sur 100m était tout juste de 11 secondes. Oui, ça ne saute peut-être pas aux yeux aujourd’hui mais j’ai été un athlète. Dans le sens « pratiquant l’athlétisme », ne nous enflammons pas.
1976, c’était aussi l’année des JO de Montréal où le 100m s’est gagné en 10s06. Voilà, entre le médaillé d’or des JO et moi il n’y avait qu’une seconde d’écart. Ça pourrait faire rêver si on ne savait pas qu’au niveau mondial dans cette seconde-là vous pouvez mettre des milliers d’athlètes. J’aurais donc pu être ce petit bonhomme qui mouline derrière les « cadors » en tant que représentant de la République Indépendante de Picardie. Eh oui, ça fait RIP mais ce n'est pas de ma faute s'il y a des gens qui ont sabordé la Picardie en inventant les Hauts-de-France. Du coup, avant, j'étais Picard mais maintenant je ne sais pas trop. Hautain, peut-être ? Français d'en haut ? Va savoir.
Cette fameuse seconde peut s’avérer être la porte du bonheur si on parvient à la gagner
Enfin, revenons à nos moutons qui courent vite car ce petit rappel chiffré permet de relativiser la notion du temps. Les sportifs, ceux qui pratiquent des courses en compétition, que ce soit en athlétisme, en natation, en cyclisme etc. savent très bien tout ce que l’on peut mettre d’efforts, de sueurs et d’heures d’entraînement pour tenter de combler cette petite seconde. Personnellement, je n'ai jamais été foutu de «casser » la barre des 11 secondes au 100m. Peut être parce que je n'y ai pas mis assez de sueur ou, qu'à l'inverse, j'ai mis trop de bières. Ou que je n'en avais simplement pas les capacités. Je m'en suis remis.
En tout cas, cette fameuse seconde peut s’avérer être la porte du bonheur si on parvient à la gagner ou celle de la grande désillusion si on n’y arrive pas. Et plus étrange encore, il y en a, dont je faisais partie, qui savent très bien que même en s’acharnant comme des damnés, ils n’accèderont jamais au niveau international, même national, mais qui continuent quand même et qui y prennent du plaisir. Ils se rassurent peut être en se disant que, finalement, entre eux et les meilleurs il n’y a qu’une seule petite seconde. Et qu’est-ce-que c’est qu'une seconde ?
Je pense à tout cela en regardant mes petits bonhommes courir derrière les « cadors » et je m’interroge sur cette frénésie que nous avons depuis plusieurs dizaines d’années à vouloir aller toujours plus vite pour toutes les choses de la vie. Pour se déplacer plus vite, on prend le TGV et on fait pousser les autoroutes. Pour manger plus vite, on a inventé les plats tout-prêts et le micro-ondes qui va avec. Pour acheter plus vite, on a imaginé les hypermarchés avec des chariots à roulettes pour mettre toutes nos courses dedans. Et comme ça n’allait pas encore assez vite, on nous a proposé le « drive ». Enfin, cerise sur le gâteau, pour communiquer plus vite, Internet et les smartphones sont venus à notre secours. Et l'on ne sait plus gérer la frustration, ce qui est pourtant bien utile car il y a bien un jour dans notre vie où nous serons frustrés de quelque chose. On ne sait plus gérer la frustration parce que l'on ne sait plus attendre. Il faut répondre tout de suite au message que l'on vous envoie. Il faut aller chercher immédiatement sur Google la réponse à la question existentielle qui nous taraude lors d'une soirée entre amis : « Mais qui donc chantait Stop the cavalry en 1978 ? ». (J'ai le disque à la maison, et donc la réponse). Il nous faut tout, tout de suite.
En tout cas, c'est un jeu d'argent, puisque le temps c'est de l'argent
Ne crachons pas dans la soupe, la plupart de ces nouveautés (je vais rester prudent avec la notion de progrès) m’ont fasciné. Et me fascinent parfois encore. Je sais que ce n’est pas bien pour mon bilan carbone mais j’adore prendre l’avion. L’idée de prendre mon petit-déjeuner à Amiens et mon dîner quelques milliers de kilomètres plus loin me séduit toujours. Rassurez-vous, ça ne m’arrive pas toutes les semaines.
Ce qui est rigolo, c’est que parfois ces inventions censées accélérer les choses nous font…perdre du temps. Combien de fois avons-nous adressé un sms à un proche pour lui poser une question essentielle (genre : à quelle heure tu viens prendre l’apéro ?) et qu’agacé par l’absence de réponse, on lui a téléphoné pour lui demander : « T’as pas reçu mon message ? ». En oubliant que si on avait commencé par l’appel téléphonique, on aurait gagné du temps.
C'est rigolo d'ailleurs cette expression « gagner du temps ». Ça se gagne du temps ? Comme on peut aussi en perdre, ça paraît finalement assez logique. C'est un jeu alors. On perd, on gagne. Il y a une règle du jeu ? Comment on compte ses gains ? En tout cas, c'est un jeu d'argent, puisque le temps c'est de l'argent . Dans ce cas-là, il vaut mieux être du côté des vainqueurs, d'autant que le temps perdu ne se rattrape jamais. Même en courant très vite comme Cheslin Kolbe ou Hasely Crawford.
Vous ne connaissez pas Hasely Crawford ? C'est le coureur de Trinidad-et-Tobago qui a remporté le 100m des JO de Montréal. Un gars qui courait le 100m, juste une seconde plus vite que moi. Et qu'est-ce-que c'est qu'une seconde ?
Joli texte qui m'a pris juste ... quelques secondes pour le lire. ;) Et dans lequel je me retrouve, bien sûr. Ce fameux RP (Record Personnel) à faire tomber. Tout en sachant qu'il y aura toujours ensuite la même quête ensuite. Juste pour le fun de connaître et/ou repousser ses limites de capacités physiques mais aussi mentales. ;)
Super Christophe