Personnellement, je trouve ça moche. Mais j'ai cru comprendre qu'aujourd'hui cela pouvait permettre de s'offrir un petit moment de notoriété locale grâce à un article dans le journal régional, voire – mieux encore – un reportage sur France 3 Poitou-Charente. Ou Auvergne. Ou Picardie, ça marche aussi.
Chaque fin d'année, des gens décorent leur jardin, et parfois même leur intérieur, d'une profusion de pères Noël clignotants, de rennes lumineux, de chalets fluorescents, de boules et de guirlandes électriques. C'est à celui qui en mettra le plus pour épater les passants dont beaucoup, si j'en crois les reportages, trouvent cela « féerique », « magnifique » etc. Là où moi je vois surtout des décorations particulièrement kitsch et pas franchement de bon goût.
Mais voilà, depuis quelques années - j'ai déjà effleuré ce sujet dans un autre texte –, il y a un moi qui juge et un moi qui se veut (ou qui fait semblant d'être) plus tolérant. Ouvert aux comportements qu'il ne comprend pas vraiment. Alors pour mes décos de Noël, je me dis « après tout pourquoi pas, si ça les amuse ».
Il faut dire que là, c'est plus facile parce que l'on touche à la notion du beau et du laid, et il n'y a rien de plus subjectif que ça. Un homme est peut-être raide dingue amoureux de la femme que je viens de croiser dans la rue et que j'ai trouvé moche. Et il n'est pas impossible qu'elle ait porté le même jugement à mon endroit. C'est même fort possible vu que mon arrière m'avantage plus.
"La jeunesse, c'est l'époque des certitudes et c'est mieux ainsi"
Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas toujours fait preuve de la même retenue dans mes analyses. Quand j'étais jeune, un moche c'était un moche, un con c'était un con. Point à la ligne, ça ne se discutait pas. Et l'idée même qu'à la suite de ce jugement péremptoire, on pouvait penser la même chose de moi – on est toujours le con de quelqu'un – ne m'effleurait même pas. Je ne m'en veux pas, il y a un temps pour tout. La jeunesse, c'est l'époque des certitudes et c'est mieux ainsi. Parce que des certitudes, il vaut mieux en avoir pour aborder la suite.
Alors va pour la notion du beau, chacun la sienne. Heureusement d'ailleurs. Vous imaginez un monde où tout le monde partagerait les mêmes opinions, aurait le même regard, apprécierait les mêmes choses ? Comment ferais-je pour dénicher des coins et des périodes de vacances plus ou moins oubliés par la foule des touristes ? De quoi parlerait-on au bistrot ? De qui pourrait-on bien dire du mal ? L'horreur...
Et si, selon l'expression consacrée, on peut être tolérant sur les goûts et les couleurs des uns et des autres, il est quand même parfois compliqué de ne pas être critique face à des passions, des hobbies, des passe-temps que l'on ne partage pas. Et qui parfois nous apparaissent franchement étranges.
Imaginez, par exemple, ce que je pouvais bien penser des gens qu'allait rencontrer Carole, mon amoureuse alors localière à l'Est Eclair, pour un reportage un samedi soir sur le parking du centre Leclerc de Romilly-sur-Seine. Qui, soit dit en passant, est une des rares bourgades où je me suis dit que je ne pourrais absolument jamais vivre. Ça ajoute au tableau. Elle allait couvrir un rassemblement de tuning. Dont, pour moi, les pratiquants sont à la voiture ce que mes décorateurs compulsifs du début de ce texte sont à Noël.
Curieux comme je suis, et parce que je n'avais pas grand chose d'autre à faire un samedi soir à Romilly, je l'ai accompagnée. J'ai bien fait. Nous avons rencontré là-bas des gens charmants. Bon, je ne vais pas essayer de vous faire prendre des vessies pour des lanternes : nous n'avions à l'évidence pas les mêmes centres d'intérêts, ni les mêmes goûts pour la déco et je ne déguiserai pas mon Opel comme eux le font avec leurs voitures. Mais c'est toujours intéressant d'échanger avec des passionnés lorsque leurs activités ne nuisent à personne. De voir leurs yeux briller, fiers de nous expliquer et de nous montrer, à nous les profanes, ce qu'ils avaient bricolé.
"Mais ils sont complètement barrés ces gens-là"
Cette tolérance aux goûts des autres – quelle soit réelle ou à moitié feinte (parce que faut quand même pas déconner, des goûts de chiottes, c'est des goûts de chiottes) – s 'est révélée grâce à un déclic. Même si elle a sûrement mûri doucement en moi avec les ans.
Un déclic lors d'un événement anodin que je me propose de vous narrer maintenant.
C'est à mon tour d'être localier, pour le Courrier picard, au début des années 2000. Dans une commune limitrophe d'Amiens, je viens couvrir, un samedi ou un dimanche, une bourse aux jouets Kinder. Oui, oui, vous avez bien lu : il y a des gens, des adultes, qui collectionnent, qui échangent, qui vendent ces petits jouets que l'on trouve dans les œufs en chocolat.
Dans la salle, je fais mon boulot, je vais discuter avec des exposants et des visiteurs. Je tombe sur un couple de quinquagénaires qui me racontent que chaque week-end ou presque, ils prennent leur camping-car et avalent au besoin des centaines de kilomètres pour se rendre à ce type de rendez-vous. Qui, je le découvre, semble être organisé assez souvent. Internet n'en était qu'à ses balbutiements et les collectionneurs de tout poil n'avaient guère que ce type d'événements pour échanger.
On a beau savoir que le monde des collectionneurs – quelle que soit la collection – fait rarement bon ménage avec le rationnel, quand je suis sorti de la salle, je me suis dis : « Mais, ils sont complètement barrés ces gens-là ».
Et puis j'ai pensé à mes week-end. À la manière dont je les occupais quand je ne travaillais pas. À l'époque dirigeant – peut-être déjà président – d'un club de roller hockey, je passais la plupart de mes samedis et dimanches dans des petits gymnases poussiéreux et bruyants, en me nourrissant de sandwiches et de croque-monsieur. Je conduisais en minibus des gamins turbulents ou des ados pas toujours bien élevés pour qu'ils disputent un ou plusieurs matches d'un sport encore très confidentiel. Avec mes amis dirigeants, on enquillait les kilomètres, récupérait les chaussettes et les caleçons oubliés dans les vestiaires et on forçait parfois notre nature pour essayer de faire respecter un peu de discipline. On revenait crevés, mais j'adorais ça.
Et du coup, je me suis dit que mon couple, avec son camping-car et ses jouets Kinder, trouverait peut-être ça complètement idiot comme passe-temps. Quand je vous dis que l'on est toujours le con de quelqu'un.
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