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Les logis du maréchal

Dernière mise à jour : 8 août


Panneau annonçant des travaux dans une résidence de logements sociaux à Amiens, Cité Pétain. En réalité c'est la cité Pétin.
Une cité Pétain à Amiens? Juste une faute de frappe.

Cette fois, le but ce n'était pas la boulangerie mais la boucherie. Boucher marocain très sympa, bonne viande, pas chère, mais là n'est pas le propos. Ces petites emplettes fournissent au citadin que je suis des occasions régulières de marcher. Et la marche chez moi engendre toujours des grands moments de réflexion, genre « qui suis-je, où vais-je (à la boucherie, je viens de vous le dire), etc. ». J'ai appris récemment en lisant mon journal que je pratiquais, sans le savoir, le « silent walking », « qui consiste à se promener sans musique, sans podcast, sans téléphone, en silence avec soi-même ». Bref, pour le faire en bon français, je marche en silence, il paraît que cela facilite la réflexion et l'inspiration.

Je marche donc vers la boucherie et j'avise sur mon chemin un panneau annonçant des travaux dans une résidence voisine. Outre le « silent walking », j'ai aussi une autre manie : je lis tout ce qui me tombe sous les yeux. Dès qu'il y a des lettres qui forment des mots quelque part - pancartes, affiches, panneau de signalisation - je les lis. Et là, en l'occurrence, j'apprends qu'un bailleur social va démarrer des travaux de réhabilitation de 160 logements collectifs « Cité Pétain ».

À une époque où il est plus rapide de créer une polémique que de faire cuire un œuf à la coque (3mn30 en ce qui me concerne, une minute de plus pour ma chérie), j'eusse pu publier sur les réseaux un post vengeur pour dire combien j'étais scandalisé face à cette tentative de réhabilitation du maréchal dont le nom a disparu de toutes les plaques de rues de France et de Navarre depuis belle lurette. Entre les « pro » et les « anti », ça aurait pu générer quelques centaines de commentaires, pas tous éclairés.

Sauf que je suis bien placé pour savoir qu'il ne s'agissait là que d'une malencontreuse faute de frappe. Doublement bien placé même.

La première raison, c'est que j'ai jadis habité rue Pétin, juste à côté de la cité du même nom, la cité Pétin donc. Comme je suis un petit curieux et qu'il faut vivre avec son temps, j'ai demandé à ChatGPT qui pouvait bien être ce fameux Pétin. Ce qui m'a permis d'apprendre qu'il s'agissait d'un inventeur originaire d'Amiens qui « avait développé en 1851 un engin étonnant nommé locomotive aérostatique Pétin, un ballon dirigeable qui avait fasciné le public parisien ». Depuis que je sais ça, je dors beaucoup mieux.

C'est le moment que j'ai choisi pour lancer à la cantonade : « Je sais, j'y habite ».

La deuxième raison pour laquelle j'étais bien placé pour dénicher cette erreur est directement liée à la première et m'a permis de vivre, il y a quelques années de cela, un petit moment de délectation revancharde que je me propose de vous narrer maintenant.

L'histoire se déroule il y a environ vingt ans. Je travaille alors à la locale d'Amiens du Courrier Picard. Je n'ai jamais su vraiment pourquoi mais le rédacteur en chef de l'époque ne pouvait pas me sentir. Au point que mon chef de service, grand poète devant l'éternel, m'a demandé un jour si j'avais couché avec sa femme (pas la sienne, celle du rédacteur en chef) pour qu'il ne puisse pas me blairer ainsi. Ce qui était évidemment complètement faux, je ne sais même pas s'il avait une femme.

En tout cas, comme je n'ai pas tendance à tendre l'autre joue, j'ai fini par lui rendre la réciproque et je ne pouvais pas l'encadrer non plus.

Cette année là, une polémique venait de prendre corps dans la Somme (ça existait déjà les polémiques mais ça se propageait moins vite que maintenant) parce qu'un village, Dernancourt pour être précis, avait encore, derrière l'église et ce depuis 1930, une rue Pétain. Cette rue un peu oubliée a refait surface parce qu'une nuit quelqu'un a dérobé la plaque indicatrice, relançant un débat qui couvait depuis les années 70. S'en sont suivis plusieurs articles, la presse nationale s'en est mêlée. De quoi mettre en émoi et en alerte mon rédacteur en chef préféré qui un jour déboule tout excité dans les bureaux de la locale pour nous annoncer « Il y a une rue Pétain à Amiens ! ». Affirmation qui suscite chez mes consœurs et confrères des « Ah » légèrement dubitatifs.

C'est le moment que j'ai choisi pour lancer à la cantonade : « Je sais, j'y habite ». Évidemment, cette histoire fonctionne mieux à l'oral qu'à l'écrit mais on va faire comme si.

S'ensuit un petit silence, et là passe sur le visage du rédacteur en chef l'expression de deux sentiments contradictoires. D'abord une certaine consternation, genre « mais ce n'est pas possible d'être aussi con et de manquer à ce point de réflexe journalistique ». Puis une certaine satisfaction puisqu'il trouvait là la confirmation que le peu de considération qu'il témoignait à mon endroit était parfaitement justifié.

Il était donc temps de placer ma banderille. « Sauf qu'à Amiens, c'est la rue Pétin, P, É, T, I, N, rien à voir avec le maréchal. ».

Nouveau silence, l'air un peu con (c'était le but) mon interlocuteur tourne les talons en maugréant.

À l'évidence, l'épisode n'a pas dû servir à booster ma carrière mais elle m'a procuré un certain plaisir. C'est toujours ça de pris.

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