Liechtenstein, j'ai répondu. Pour faire mon intéressant. Le professeur de géographie nous demandait tour à tour quel pays nous souhaitions découvrir en priorité. Les réponses de mes camarades de classe tournaient toujours autour des mêmes pays : États-Unis, Canada, Brésil et Australie. Et comme le prof suivait l'ordre alphabétique pour interroger les élèves, je passais en dernier, et j'ai donc eu tout le temps pour préparer ma réponse. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas à 17 ans pour essayer de passer pour un original.
Mais du coup, cette idée de Liechtenstein m'a poursuivi. Je me suis dit que maintenant que j'avais sorti ma vanne, je ne pouvais pas l'abandonner comme ça et je me suis fixé comme objectif d'y passer un jour. J'en conviens, il y a plus compliqué comme objectif à atteindre.
L'occasion s'est présentée deux ans plus tard alors que je venais de rejoindre des amis qui passaient un séjour en Suisse. Je venais de castrer le maïs dans le Massif central. Et oui, on peut castrer le maïs, en enlevant les fleurs mâles dans les rangs femelles. Je ne vais pas vous faire un cours de botanique, il y aurait de fortes chances que je vous raconte des conneries.
Tous les saisonniers, en général des étudiants, campaient sur le terrain de foot du village.
Mais j'ai quand même castré le maïs, trois étés de suite, à Entraigues dans le Puy-de-Dôme. Le tout dans une joyeuse ambiance où tous les saisonniers, en général des étudiants, campaient sur le terrain de foot du village et ses installations sanitaires de fortune. Ce qui me laisse à penser, avec le recul, que l'on devait quand même sacrément sentir le fauve.
Par contre, pour rejoindre la Suisse, une fois la campagne terminée, j'ai fait un brin de toilette. Non pas pour compter fleurette à une jolie étudiante venue castrer le maïs avec entrain, mais parce que je voyageais en stop. Ça se faisait beaucoup à l'époque et j'ai fait plusieurs milliers de kilomètres comme ça avec des journées où j'avançais de 400 à 500 kilomètres environ, uniquement sur des nationales ou des départementales.
Pour ne pas attendre trop longtemps, il fallait un peu d'organisation. Se trouver dans la bonne direction bien entendu, ce qui nécessitait parfois de faire quelques kilomètres à pied pour sortir des agglomérations. Choisir un endroit où les automobilistes vous voyaient d'assez loin, mais où ils ne roulaient pas trop vite. Et, enfin, prévoir un espace où ils pouvaient stopper leur véhicule sans danger. Dit comme ça, ça peut ressembler à une impossible équation, mais on trouvait. Et puis il fallait quand même « bien présenter ». D'où le brin de toilette.
L'occasion était trop belle pour ne pas réaliser mon rêve de voyage
Il m'est arrivé par mal d'aventures en faisant du stop, j'y reviendrai peut-être un jour. Mais j'ai quand même réussi à être pris au beau milieu de la Suisse par un de mes cousins qui habitait Amiens, comme moi, et où l'on ne se rencontrait jamais. Et puisque j'étais en Suisse, je me suis dit, après avoir passé un moment avec mes amis, que l'occasion était trop belle pour ne pas réaliser mon rêve de voyage : aller au Liechtenstein.
J'ai donc repris mon sac à dos et levé le pouce pour traverser la Suisse. Arrivé à Chur – Coire pour les Francophones - où il pleuvait comme vache qui pisse, j'ai été pris par un jeune couple d'Autrichiens fort sympathiques qui passaient par Vaduz. Vaduz étant la capitale du Liechtenstein, je le précise pour les gens fâchés avec la géographie. Je sais qu'il y en a, mais je ne leur en veux pas, moi même je suis nul en maths.
Mais voilà, arrivés à Vaduz, il pleuvait toujours à seaux. Je me trouvais bien au chaud sur la banquette arrière de leur Coccinelle, une ambiance cocoon que je n'ai pas eu envie de quitter, d'autant que je n'avais absolument rien de prévu à Vaduz. Je leur ai demandé si ça ne les dérangeait pas que je poursuive la route avec eux, ce qu'ils ont volontiers accepté.
Je me suis aperçu que j'avais oublié un petit détail
Et c'est comme cela que je me suis retrouvé quelque part en Autriche sans avoir posé le pied, ne serait-ce qu'une minute, sur le bitume du Liechtenstein. J'ai profité d'une petite accalmie pour monter ma tente dans le camping devant lequel ils m'avaient déposé et c'est là que je me suis aperçu que j'avais oublié un petit détail. On était samedi en fin d'après-midi et je n'avais pas le moindre schilling autrichien en poche. Le problème n'est pas immédiatement perceptible aujourd'hui, époque où l'on règle en euros dans de nombreux pays européens (dont l'Autriche) et que l'on peut même payer avec son smartphone. Mais en 1977, je n'avais pas de carte bancaire et je voyageais avec des travellers chèques, planqués dans mes chaussettes. J'avais été dépouillé l'année précédente à Barcelone, ça m'avait rendu prudent. Travellers que je pouvais changer dans les banques contre monnaie sonnante et trébuchante. Mais encore fallait-il qu'elles soient ouvertes. CQFD. Comme je ne sais pas faire la manche et que je subodorais que les Autrichiens seraient assez peu enclins à faire crédit au chevelu arrivé de nulle part avec son sac à dos, j'ai passé tout mon week-end réfugié dans ma petite tente (parce qu'il n'a pas arrêté de pleuvoir, tant qu'à faire) à économiser le plus longtemps possible le paquet de gâteaux qui traînait au fond de mon sac.
Aujourd'hui, lorsque l'on me demande quelle est ma destination de rêve, je réponds invariablement Charleville-Mézières. Toujours pour faire mon intéressant. Et puis parce que là, au moins, je n'aurais pas de problèmes de change.
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