Choisis ton camp, camarade ! Tu peux porter un blaser, suivre des cours de droit, avoir les cheveux courts et des idées de droite, voire très, très à droite. Mais tu peux aussi avoir les cheveux longs, porter une veste de treillis, surplus de l'armée américaine, avec le symbole de la paix dessiné dessus et les idées très à gauche. Tu distribues des tracts, organises des manifs et attends le grand soir avec tes potes. Aux dernières nouvelles, plus de quarante ans plus tard, vous l'attendez toujours.
Et puis, pour terminer ce panorama estudiantin des années 70, un peu caricatural j'en conviens, tu peux faire partie de ces irresponsables, sans conscience politique qui portent aussi les cheveux longs, écoutent Led Zep et les Who, fument parfois des cigarettes qui font rire, tombent amoureux toutes les semaines et attendent fiévreusement le prochain « zinzin ».
Jadis masculin, le mot zinzin se dit maintenant la zinzin
Le zinzin : mot propre à la Picardie et au Nord-Pas-de-Calais, qui désigne les soirées étudiantes généralement organisées le jeudi soir. Ces zinzins au fil des ans ont bien évidemment évolué ; rendez-vous compte, les nôtres se faisaient avec orchestre ! Rock, mais orchestre quand même. Et bizarrement, sans que je sois capable de donner une date précise, le mot zinzin a changé de genre. Masculin à notre époque, il s'est féminisé et les étudiants aujourd'hui disent la zinzin. C'est pas pour faire mon vieux con, mais franchement, c'est n'importe quoi.
Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos catégories d'étudiants. Moi, j'avais choisi la troisième. Ceux de la première, les petits fachos avec leur tête de premier de la classe, je ne pouvais pas les encadrer. Les seconds m'étaient plus sympathiques, mais ils devenaient vite fatiguants. « La révolution, pas ce soir, j'ai zinzin », ils avaient du mal à comprendre. Que voulez-vous, je n'ai jamais eu l'âme militante. La seule fois où je me suis retrouvé engagé dans un syndicat étudiant, c'était à l'IUT de Tours où je suivais mes études de journalisme. Mais cet engagement devait beaucoup (uniquement ?) aux très beaux yeux bleus de la responsable locale de ce syndicat.
Sauf à réussir à se faire passer pour frapadingue, ou atteint d'une maladie rare et très contagieuse, ce n'était pas facile de passer au travers.
Et puis, malgré le symbole de paix sur leur veste de treillis, mes gars du deuxième groupe n'avaient rien contre une petite guerre pourvu qu'elle soit anti-coloniale et pour libérer les peuples opprimés. Or, je n'ai jamais eu d'appétence pour la chose militaire. Ça tombait d'ailleurs mal parce qu'à l'époque, les jeunes Français devaient passer par la case service militaire. Et, sauf à réussir à se faire passer pour frapadingue, ou atteint d'une maladie rare et très contagieuse, ce n'était pas facile de passer au travers. En tout cas, moi, je n'ai pas réussi.
C'est comme cela que, par une froide et grise matinée de décembre, j'ai passé les portes d'une caserne à Nevers. En fait, je ne me souviens absolument pas du temps qu'il faisait ce jour-là, mais question ambiance, « froide et grise matinée », je trouve que ça en jette.
Je n'ai pas appris grand'chose durant mes douze mois de caserne. Ah si, j'ai appris le morse quand même. Dont j'ai tout oublié depuis, évidemment. Ils avaient trouvé que j'avais une bonne oreille et moi je préférais passer l'hiver au chaud à entendre des « trait, point, point, trait... » dans mon casque, plutôt que d'aller me les geler dehors à jouer à la guerre.
J'ai appris à prendre le train aussi. Les correspondances, les changements de gare n'avaient plus aucun secret pour moi au bout d'un an. D'une, parce que le régiment auquel j'avais été affecté bougeait beaucoup : un groupe géographique, composé d'appelés qui, dans le civil, étaient géomètre ou ingénieur topographe, qui sillonnait la France et les terrains militaires pour effectuer des relevés topographiques. Du coup, nos permissions ne partaient pas toujours du même endroit. Et de deux, parce qu'en arrivant, j'avais donné Béziers comme lieu de résidence. Pourquoi Béziers ? Petits curieux. Pour pouvoir prétendre à des billets de train pour cette ville où, durant l'été précédent, j'avais effectué un stage dans l'agence du Midi Libre. Et c'est là que j'étais tombé raide-dingue amoureux de Nathalie. Qui avait eu le bon goût de ne pas rester insensible au charme de mes petites bouclettes blondes.
Le charme des trains de nuit, communément appelés à l'époque « train à bidasses »
Il va sans dire que ma première perm', après trois semaines d'enfermement, a été pour elle. Mais avant cela, pour me rendre à Montpellier, où elle résidait, j'ai d'abord découvert le charme des trains de nuit, communément appelés à l'époque « train à bidasses ». Où, entre autres coutumes étranges, on pouvait découvrir celles de jeunes gens aux cheveux courts qui, une grande quille en bois autour du cou, vociféraient « La quille, bordel ! ». Manière délicate de faire savoir aux autres passagers du train qu'ils venaient d'en finir avec leurs douze mois de caserne.
Moi, je me disais que le jour venu, je crierai plutôt « Mes cheveux, bordel ! », tant en arrivant à Nevers, j'avais vécu la perte de mes cheveux longs et bouclés comme un traumatisme. Et le fait que Nathalie, fille du sud, m'avait confié que c'était ma tignasse blonde qui l'avait fait craquer, n'y était pas étranger.
J'ai réussi à survivre au train à bidasses pour me retrouver, par une froide et grise matinée (ah, je vous l'ai déjà faite celle-là?), dans un café de la place de la Comédie où j'avais rendez-vous avec Nathalie. Qui pour moi était, bien sûr, la plus belle fille du monde. Je ne connaissais pas toutes les autres, mais ça me paraissait évident. Quand on est amoureux à 20 ans, on ne fait pas semblant et on monte vite dans les tours de l'émotion. On est aussi capable d'en descendre très vite, ça peut aider. Surtout si ce n'est pas vous qui avez décidé de descendre.
Je n'étais pas tombé amoureux d'une poupée Barbie.
En attendant, je suis assis là sur ma banquette, face à l'entrée de ce bar tout en longueur quand je la vois arriver. J'imagine déjà le baiser fougueux que l'on va s'échanger, nos doigts qui vont s'étreindre. De magnifiques retrouvailles comme dans les films, la musique en moins. Chabada, bada..
Et... elle passe à côté de moi sans s'arrêter. Je ne la récupérerai qu'à la suite de son demi-tour après qu'elle se soit heurtée au mur du fond de la salle. Heurtée, c'est une image, elle s'est arrêtée avant de percuter le mur, elle n'était pas idiote, non plus. Je n'étais pas tombé amoureux d'une poupée Barbie.
Quant à son passage éclair devant moi, ce n'est pas qu'elle m'avait déjà oublié – laissez-moi un peu de temps quand même – mais avec ma boule à zéro, ou plutôt à 1,5 soyons honnête, elle ne m'avait pas reconnu !
De retour à la caserne, il s'en est fallu d'un cheveu que j'étrangle le coiffeur.
Comments