J'ai dormi dans le même lit que Marion Cotillard. Vrai de vrai. Cette phrase, sans notion de temps, laisse le champ libre à bien des interprétations. Certes, celle qui consisterait à penser que nous avons dormi dans le même lit en même temps est tellement peu crédible, qu'elle sera rejetée de suite. C'est vrai quoi, je la connais à peine, juste par écran interposé, et si ça se trouve elle voudrait dormir de mon côté, occuperait toute la place et prendrait toute la couette. Alors, restons prudent.
Mais bon, « J'ai dormi dans le même lit que Marion Cotillard » ça fait son petit effet, c'est toujours ça de pris. J'aurais même pu vous le faire plus tendancieux : « Marion Cotillard et moi avons couché dans le même lit ». Ce qui aurait été tout aussi exact. Ou beaucoup plus neutre : « J'ai dormi dans la même chambre que Marion Cotillard ».
Dans les récits, tout est question d'emballage, de mise en scène. C'est d'ailleurs comme cela que fonctionnent les histoires drôles, ou qui se veulent drôles, que l'on se raconte au coin du zinc ou devant la machine à café au boulot. Vous ne donnez que des bribes d'information, entretenez un flou artistique et n'hésitez pas à vous perdre dans quelques digressions, histoire de faire durer le plaisir. Ce qui peut aussi vous donner l'occasion de placer quelques blagounettes qui n'ont rien à voir avec le sujet, mais quand on peut se faire plaisir...
« Le petit Chapitre », qui abrite ces chambres d'hôtes, est un endroit délicieux
« J'ai dormi dans le même lit que Marion Cotillard », j'aurais pu le vous le raconter comme ça : "lors d'un récent séjour en Belgique, à Chimay, j'ai dormi dans une très jolie chambre d'hôtes qui avait accueilli il y a quelques années de cela Marion Cotillard. Elle y tournait un film, qui n'est d'ailleurs jamais sorti en salle, dans le château de Chimay".
Là, vous avez tous les détails de l'histoire, mais d'un point de vue effet, avouez que ça tombe plutôt à plat. J'en profite quand même pour vous dire que la maison « Le petit Chapitre », qui abrite ces chambres d'hôtes, est un endroit délicieux. Et je ne suis même pas payé pour vous le dire.
Tout comme, je vous informe, si vous ne le savez pas encore, que les trois bières de Chimay (la rouge, la blanche et la bleue, à mon avis la meilleure) sont désormais quatre, comme les mousquetaires, avec l'apparition de la dorée. Bière légère jadis réservée aux moines, mais aujourd'hui vendue dans le commerce. C'était notre pause « biérologie », ne me remerciez pas, c'est cadeau.
En matière de mise en scène d'histoire vraie, j'ai souvent eu l'occasion de raconter celle de l'éléphant. Que généralement je présente comme ceci : un soir, en rentrant du boulot, en voiture, je m'engage dans une rue proche du centre-ville et là, je vois arriver face à moi un éléphant qui trottine à bonne allure et une petite dame qui lui court derrière. Quasiment à chaque fois, ce court récit me vaut cette remarque : « C'est ça... Et il était rose ton éléphant ? ». Ce qui est assez vexant, parce que cela induit l'idée que je souffre d'une certaine intempérance à l'alcool alors que tout le monde sait que je ne bois qu'un verre à la fois. Certains, sûrement « publivores », tentent un plus subtil : « Mais bien sûr.. Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d'alu... ».
Si mes enfants sont là aujourd'hui, c'est parce que j'ai rencontré leur mère en ces lieux.
Pourtant, cette histoire est rigoureusement exacte. J'ai juste omis d'en donner tout de suite tous les détails. Par exemple, que la rue dans laquelle cette mésaventure m'est arrivée se situe juste derrière le cirque d'Amiens. Très joli cirque d'ailleurs, inauguré par Jules Verne, qui évoque à beaucoup d'habitants de cette ville bien des souvenirs. Que ce soit de spectacles pour leurs enfants lors des arbres de Noël ou pour des concerts en tout genre. Je lui dois moi-même beaucoup, puisque si mes enfants sont là aujourd'hui, c'est parce que j'ai rencontré leur mère en ces lieux. C'était début 81 lors du concert de Jean-Patrick Capdevielle, le gars qui est resté trop longtemps dans le désert. Au point que tout le monde l'a oublié d'ailleurs. Sauf moi, mais c'est parce que j'ai une mémoire d'éléphant.
Le mien d'éléphant, justement, courait donc derrière le cirque. Une information qui, à elle seule, permet assez rapidement de se faire une petite idée du pourquoi et du comment. Et là encore, j'aurais pu vous la raconter genre rédaction de collégiens. « Un soir, l'éléphant d'un cirque, qui s'était installé à Amiens, s'est échappé. Sa dompteuse l'a poursuivie place Longueville qui est située juste derrière le cirque en dur. Je l'ai vu au moment où j'engageais mon véhicule dans cette rue ».
Et là, plouf, ma belle histoire tombe à l'eau. Adieu l'image angoissante du pauvre automobiliste qui, alors qu'il rentrait tranquillement chez lui dans une ville de Picardie, voit fondre sur lui un éléphant en furie.
Et ça ne serait pas juste. Parce que, quand même, la vision de cet éléphant en cavale m'a causé une belle surprise et quelques secondes d'inquiétude aussi : je fais quoi moi, là tout de suite, dans ma petite voiture s'il continue droit devant, car accessoirement je suis sur son chemin...?
Heureusement, une remorque de foin, garée derrière le cirque, a retenu l'attention du pachyderme gourmand. Il a dévié sa course pour s'offrir un petit souper, permettant à sa dompteuse de reprendre le contrôle de la situation.
Et moi, l'émotion passée, je me suis dit que ça me ferait une belle histoire à raconter à mes enfants, puis à mes petits-enfants et à mes copains de bistrot... Pour peu que je réussisse à ménager mes effets, une sorte de récit en trompe-l'œil.
Comments